samedi 28 mars 2020

Jour 15 + 5

Jour 15 de confinement stricte. 
Hourra ! J'ai gagné le jack pot!  Une autre tranche de vie m'attend peut être. Eh non! Ça aurait pu être. Mais ça c'était avant d'aller à l'aéroport inutilement.
Je reprends.

Jour 5 de confinement. 
Après avoir été à l'aéroport. Bien. La maison est ultra propre. Les vêtements sont ultra propres. Les chaussures d'extérieur ont été lavées et placées à l'entrée.
Même le téléviseur d'où j'écoute le monde a été passé au nettoyage fin.
Je crois que je vais développer un TOC. Alors que je suis tellement libre et indépendante dans ma tête et que j'ai toujours été CONTRE les TOC pour cette raison.
J'ai toujours cru qu'ils aimaient mieux les dépendants. Je me trompe peut être.
J'essaie des recettes de cuisine. Hier, un tagine improvisé avec les trucs du frigo et du placard.
Mon premier tagine à vie!
Vous savez. Lorsque nous sommes arrivés au Québec, j'avais presque 13 ans ou peut être 13 ans et demi. Je n'avais jamais cuisiné de ma vie. Il ne s'est pas passé une fois lors d'une rencontre ou d'une présentation, sans qu'on me dise. Ah ! Tu es marocaine, tu dois faire du maudit bon couscous. Donc je mettais mise au couscous pour ne pas décevoir mes amis/amies.
Puis il y en a qui me disaient, tu dois faire des succulents tagines d'agneau ou de mouton. Alors il se produisait ce qui était prévisible. La seule évocation des mots agneau ou mouton me donnaient la nausée. Je n'ai donc jamais essayé de cuisiner des tagines que j'associais à l'agneau ou au mouton.
Tiens même écrire les mots des deux bêtes me donne la nausée. C'est vous dire!
Si bien qu'hier, je me suis retroussée les manches, j'ai assumé mes origines de naissance et j'ai préparé un Tagine aux oignons caramélisés, aux canneberges et à la dinde.
Je ne crois pas que ça existe mais je n'avais ni raisins, ni pruneaux, ni veau, ni boeuf que j'évite, par ailleurs.
Vous voyez même le mot tagine je ne savais pas l'écrire jusqu'à ce que mon correcteur me rappelle à l'ordre.
Vous voulez savoir comment vous vous sentirez après 15 + 5 jours de confinement. Et bien.
Un peu comme moi. À délirer seule sur le mot tajine avec un g ou un j.
C'est ce que d'autres appellent revenir à l'essentiel.
À lire aussi les grands philosophes à commencer par:

OU


Ce matin, le ciel avait de la difficulté à avoir les idées claires.

Photo de Évelyne Abitbol.

Le vent dans les voiles

Jour 14 de confinement avant d’aller inutilement à l’aéroport de Malaga. Parce que j’avais suivi les instructions envoyées par courriel par l’ambassade du Canada en Espagne.


Jour 3 de confinement après avoir rebroussé chemin, en me disant que j’aurais dû écouter le Premier Ministre, Trudeau, qui nous disait de ne pas nous rendre à l’aéroport sans billet. Mon billet de retour étant pour la fin mai.






Rien. Sinon que la mer reprend encore ses droits ce matin secouée par le vent dans ses voiles.


jeudi 26 mars 2020

Milena

Jour 13 de confinement avant de partir inutilement à l'aéroport.
Jour 2 de confinement en Espagne après la course inutile vers l'aéroport.
"Deux interminables journées - le monde s'était fracturé en deux camps: chez moi et l'étranger...
... Depuis lors, je nourris une méfiance secrète envers ce que jadis je nommais le monde. Certes, j'y ai vu une foule de belles choses, une longue suite d'impressions merveilleuses, de rues, de connaissances, d'enthousiasmes - mais en quoi cela me concernait-il? Naguère, j'y avais placé toute ma confiance ; elle s'est brisée en morceaux... j'ai vu que le monde est quelque chose de continu et d'accessible, qu'il est certes plus vaste que je ne croyais, mais aussi fragmenté en journées de chemin de fer, à soixante kilomètres à l'heure en moyenne, et que dans toute cette immensité il n'offre pas le moindre refuge pour je ne sais quel recommencement, pour des vies nouvelles.


J'ai vu avec une clarté aveuglante que dans le monde il n'est qu'un seul milieu sur lequel je puisse me reposer, toi-même, mon pauvre coeur, si petit que tu tiendrais dans le creux d'une main...
... si je ne peux compter que sur moi alors plutôt mourir, ai-je dit. Si je ne peux compter que sur moi, alors tout est absurdité, stupidité, sottise."
Milena Jesenskà morte au camp de concentration Ravensbrück 1944





Il y a des gens qui regardent leur horoscope chaque jour, il y en a d'autres qui tirent une carte de tarot de Marseille ou du tarot Zen, pour orienter leur journée, ma petite folie quotidienne est d'ouvrir un livre, choisi selon mon humeur, pour lire la page ouverte au hasard. Avant-hier, je pensais à Milena Jesenskà. Une auteur inclassable. J'ai ouvert ce livre, Ma Vie, et je suis tombée exactement à la page et l'extrait que j'aurais voulu trouver.
Avant-hier, à l'aéroport, je voyais les files de gens anxieux, de personnes désagréables qui s'exprimaient avec agressivité je revoyais les images des films de la seconde guerre mondiale alors que les Juifs faisaient les files et se bousculaient parfois pour monter dans les trains vers la mort sans le savoir.
Alors qu'on leur avait fait miroiter et incités à prendre le train vers des camps de travail. Une tristesse infinie m'a envahie.
J'ai eu beaucoup de peine en y pensant. Beaucoup. Mes yeux se sont brouillés. Mon amie pensait que je me sentais mal.
Pendant que je revoyais dans ma tête ces images d'horreur tant de fois lues et vues au cinéma, à l'aéroport de Malaga, je ressentais l'anxiété des personnes qui faisaient les files alors qu'elles étaient assurés d'arriver sains et saufs à destination... ou à tout le moins peut être porteurs du virus ou malades mais entre bonnes mains.
Je nous souhaite de passer au travers de cette vilaine période avec pour réelle direction dans nos vies, notre coeur.
Prenez bien soin de vous! Je fais pareil ici à 6000 km. Et je ne bouge plus avant d'avoir de nouveau terminé, en l'espérant, ma deuxième quarantaine, avec pour compagne, l'immensité de la mer.

La Transformation

J’ai toujours aimé le silence des matins. 

Une autre page s’ouvre. 

Un café bien au chaud. 

Je me sens privilégiée. 

Je pense aux réfugiés dans les camps, aux prisonniers politiques agglutinés dans les prisons, je pense aux femmes qui accouchent en ce moment, à celles qui subissent la violence conjugale augmentée par le confinement, à leurs enfants. Je pense à vous au Québec... et à mes nouveaux compatriotes de confinement, les Espagnols et les Européens... et les autres!


La mer est déchaînée comme si, grâce au vent intense et à la réduction de GES, elle respirait enfin! Personne ici ne l’avait vue aussi grosse aussi longtemps. Elle est presque toujours comme une tache d’huile dans cette crique habituellement.

Si je m’étais écoutée, je serai à mon 12ème jour de confinement. Sans symptômes.
Là je repars à 0. Donc jour 1 - Même si je portais des gants, un masque et beaucoup / toutes les précautions précédemment décrites.


Parce que je suis allée pour rien à l’aéroport hier. Comme le suggérait l’ambassade par courriel. Dommage. Erreur!


Je ne bouge plus et je me transforme en statue de sel. 😉




lundi 9 mars 2020

Il y a trop de monde qui ont besoin de mots!


L’écrivain public - Saison 3  

Souvenir

Mon grand-père maternel exerçait ce plus vieux métier du monde au Maroc à Casablanca, Écrivain public. Mon plus vieux souvenir, car il a été lié au métier que j’ai exercé plus tard, était celui d’un homme corpulent, installé derrière une grande machine à écrire déposée sur un pupitre d’écolier, entouré de dictionnaires dont les couvertures annonçaient les couleurs des drapeaux de certains pays. Mon grand-père était un érudit. Un cabaliste m’ont confirmé certains. Il écrivait le français, l’arabe, l’hébreu (en arabe), l’allemand, l’espagnol, le portugais… Les gens du quartier savaient où le trouver au coin de la rue Jean-Jacques Rousseau et de la rue Lacépède dans le quartier de la Place Verdun à Casablanca. Je revoyais une dizaine de personnes debout devant lui, faisant la file, une enveloppe à la main ou encore retenant un enfant par la main. Mon grand-père, Baba Salomon, écrivait des lettres, des réponses aux courriers administratifs, remplissait des formulaires d’extraits de naissance, des documents légaux, des plaintes, etc. Il écrivait même des lettres d’amour!

C’était mon premier contact avec cet objet si précieux : la machine à écrire. Je la cherchais partout dans la maison de mes grands-parents, pour simuler les gestes d’écriture de mon grand-père. Et plus je vieillissais, plus il cachait sa machine en hauteur toujours plus haut pour ne pas que je m’amuse à finalement coincer les lettres à force de taper si vite pour l’imiter.

L’écrivain

Or, lorsque Michel Duchesne m’a parlé du métier qu’il a exercé, de son livre et de la série l’Écrivain public, ce sont ces souvenirs heureux qui me sont remontés à la surface.

Chacun le sait ou l’a vécu ! Lorsque nous craignons le pire, nous prenons la fuite. C’est ce que j’ai fait le 2 octobre 2018, lorsque le résultat des élections provinciales était tombé en même temps que des collègues dédiés, impliqués dans leur milieu au-delà du possible.

L’un d’entre eux était Michel Duchesne que je venais de connaître au début de la campagne électorale. Un être généreux, un écrivain fabuleux qui réussit le tour de force de décrire dans ses romans des ambiances réelles, des personnages vrais; un dialoguiste comme il en existe peu en ce temps de l’utilisation du langage télégraphique virtuel.
 Un écrivain, témoin des problématiques, vécus dans notre société où les plus démunis se retrouvent trop souvent sans voix.

Connaissant mon amour pour la Costa Del Sol – Andalousie, Michel Duchesne m’avait offert spontanément son dernier livre La Costa des Seuls. J’en ai étiré la lecture pour ne pas laisser partir les personnages et les voir se retirer trop vite de ma vie.
J’aurais voulu continuer d’accompagner la leur. C’est cette atmosphère que j’ai retrouvée avec l’Écrivain public.

J’avais perdu ce goût du Québec que je ne reconnaissais plus. Vendredi soir, sur la scène du Quartier latin - Odéon, pendant la présentation du film/épisodes de l’Écrivain public, je retrouvais ce goût. Enfin! Après un an et demi de départs, de retours ratés et d’exils.

La websérie

Je retrouvais ce goût dans le milieu communautaire de la cuisine collective d’Hochelaga-Maisonneuve où se déroule la saison 3 de l’Écrivain public.  

« Il y a des mots qui dérangent et il y en a d’autres qui sauvent aussi. Puis, s’ils peuvent sauver, on s’en fout qu’ils dérangent. »

Cette phrase coup de poing énoncée par la comédienne d’origine haïtienne Marité Mireille Metellus nous rappelle que déranger veut aussi dire toucher les maux et les guérir.  

L’écrivain public, Saison 3, présenté vendredi 6 mars 2020 aux Rendez-Vous Québec Cinéma fait partie de ces films qui dérangent. C’est un film mis en abyme, le film dans le film, le livre dans le livre ouvert vers un labyrinthe dans lequel on pénètre sans connaître le chemin vers la sortie ou alors qui mène vers l’entrée d’un univers méconnu, celui de la pauvreté que l’on cache.

L’enchâssement de l’histoire nécessaire, celle d’un écrivain public qui s’investit tant dans son travail au secours des analphabètes, qui le consultent, qu’il en devient le confident, l’ami, le sauveur, celui qui touche tant de monde que finalement, son métier n’en est plus un mais devient une orientation et une manière de vivre.



Il y a cette mise en abyme du film mais une autre pour le comédien, personnage central du film, Emmanuel Schwartz, qui affirmait, lors d’une entrevue prémonitoire accordée en 2017 à Matthieu Lévesque de l'Agence QMI et reprise par TVA – Nouvelles, que pour lui, « l’écriture est une curiosité. Ça fait changement de la rigueur très exigeante que demande le théâtre. L’écriture me permet de faire une plongée à l’intérieur de moi-même. Dans mes écrits, je questionne plusieurs choses, comme mon métier, le désir d’être connu ou moi-même. Ça frôle parfois l’égocentrisme, mais l’écriture me permet cette réflexion. »

Note dissonante 

Toutefois, une note dissonante dans la saison 3 : une femme voilée pour représenter les Musulmanes. Les femmes musulmanes du Québec et d’ailleurs dans le monde se battent contre cette fausse représentation.

Les personnages

On s’attache aux personnages plus vrais que nature :

« Ce sont des personnages à fleur de peau et on est dirigé sans artifice, le plus près possible de nous-mêmes. Des fois, on met le texte dans nos mots, les scènes sont improvisées, ne sont jamais fermées et dans lesquelles on peut mettre du nôtre. L’exigence, c’est d’être vrais! Juste d’être comme du monde ordinaire. Tu ne peux pas jouer quand tu es avec du monde ordinaire parce que tu décales tout de suite. Il faut être le plus possible proche en disant les mots qui sont proches de soi et en général tu ne peux pas te tromper. »

Ces mots sont ceux de l’attachante Mina incarnée à l’écran par la non moins attachante comédienne Louise Bombardier.

Et dans ce film/série, il n’y a aucun décalage.


Chacun des comédiens que l’on voit apparaître puis disparaître de l’écran mériterait une reconnaissance nationale et internationale. Et chacun d’eux représente une problématique : le communautaire, la déficience mentale – Jojo incarnée par Sandrine Bisson. Prodigieuse et grandiose! la prostitution et le crack - Annie, Élisabeth Locas – impressionnante ! Steeve, Julien Deschamps Jolin, son « pimp » épeurant ! l’éducation, l’adoption, la drogue, la mère monoparentale, le père monoparental, les ados, l’aide médicale à mourir, la solitude, les centres pour femmes violentées, etc.

Et chaque moment vient nous rappeler le manque de ressources dans ces domaines.

Une écriture et une réalisation magistrales!
Le ton et les mots sont si justes (Michel Duchesne et Éric Piccoli), la caméra si intime (Philippe St-Gelais, Suzel D. Smith), la musique omniprésente et discrète (Joseph Marchand) le montage (Justin Richard-Dostie) si fluide que notre rôle de téléspectateur en devient un de participant à cette communauté au point où l’on a presque envie de les interpeler et de faire partie de leur vie, aussi difficile soit-elle!  Parce qu’ils sont imbibés de tendresse et de douceur!

Et on reprend les saisons manquées de l’Écrivain public juste pour rester encore, un peu plus longtemps, en présence de ces généreux personnages. 

C’est ça une famille! affirme Luc Senay qui représentait le boss du Centre, venu à la rescousse de son ex-directrice bourrée de talent, brillante – dont la vie a basculé, une femme victime de violence conjugale par… une autre femme!



Et c’est à cette vraie famille qu’on a envie d’appartenir! Malgré…







Bande annonce :





Notes sur l'analphabétisme:

 Ajout encadré de bas de texte :
Selon l’observatoire des inégalités en 2014 : l’analphabétisation dans le monde : 800 millions d’adultes sont analphabètes dans le monde, soit 16 % de la population mondiale. 410 millions vivent en Asie et 190 millions en Afrique subsaharienne.

Au Québec, selon la Fondation pour l’Alphabétisation : Au Québec, une personne sur cinq, soit 19 % de la population, est susceptible de se retrouver dans une situation où elle éprouvera de grandes ou de très grandes difficultés à lire et à utiliser l’écrit. 






mardi 17 décembre 2019

Le plus beau métier du monde !



Voilà que ce matin, devant mon premier café, je retrouve un message très court d'un journaliste qui couvre le parlement européen, me rappelant à l'ordre.

Ma biographie sur twitter se lisait comme suit avant que je ne la change sur sa suggestion  : journaliste à la retraite et il y a quelques années : ex-journaliste imbibée de littérature.

Or, le collègue m'indique avec justesse qu'il est impossible qu'un ou une journaliste soit à la retraite.

Que «c'est comme un justicier qui, même à la retraite, les affaires le suivent et ceux qui détestent la démocratie n'arrêteront pas leur haine à la retraite. »

Ce rappel à l'ordre, au moment de prendre mon premier café, a été un baume sur le coeur tant j'ai toujours pensé que lorsqu'on a touché à ce métier, de près ou de loin, le plus beau du monde, à mon humble avis, on ne peut penser qu'un jour ou même une heure, nous pourrions prendre notre retraite.

Et ce journaliste avait raison. Je n'ai cessé d'exercer mon métier, même lorsque j'ai travaillé en politique. Les stratégies préparées, les textes que nous fournissions, les discussions internes étaient emprunts d'une orientation journalistique presque éditoriale.

C'était ainsi que je le vivais, ainsi que je sentais chacune de mes interventions et chacune de mes suggestions de révisions de discours, de communiqués ou d'orientation.

Bien entendu, il arrivait que certains tentent, lors de rencontres, de dérouter mes propos, de me déstabiliser en analysant «ma manière de m'exprimer si passionnée à la Méditerranéenne» ou «mon écriture calligraphique si bizarre.»

C'était le prix à payer d'être une femme, membre de la diversité culturelle et de surcroit ex-journaliste. Et mon regard sur la personne était de l'interpréter comme étant issu de «la ligue du vieux poêle ou celle de l'esprit de clocher de Québec». Il perdait toute crédibilité à mes yeux.

Ce matin, je me suis souvenue d'un journaliste africain de passage à Radio Canada, lors de mes premières journées de travail à l'émission le Point, il y a plusieurs années. Il y avait un photographe qui était venu prendre des photos de Michaelle Jean et de moi-même pour son exposition portant sur les femmes journalistes de la diversité montréalaise.

Nous étions alors Michaelle Jean et moi-même, la risée de certains de nos collègues qui ricanaient en disant: admirez les futures Madeleine Poulin!

J'avoue que nous avions été toutes les deux blessées par ces propos. Mais comme nos bureaux se jouxtaient alors, nous avions décidé de former une solidarité immuable.

Je reviens donc à la visite du journaliste africain qui était venu discuter avec le rédacteur en chef ou le chef recherchiste de l'absence de couverture journalistique québécoise sur l'Afrique, tout un continent négligé à la télévision d'état et de surcroit à l'émission d'Affaires publiques la plus écoutée.

Il faut dire que les émissions d'Affaires publiques n'envahissaient pas les écrans à l'époque avant la chaine d'information continue.

En entendant les ricanements et les moqueries, le journaliste nous avait marmonné, pour ne pas être entendu des autres, Omertà oblige : «ça ne fait que commencer. Attelez-vous bien! Attachez vos ceintures ou vos tuques! Lorsque vous voudrez sortir la tête de l'eau, on vous l'enfoncera bien profondément dans les eaux et vous finirez par vous noyer et abdiquer. C'est le lot des immigrants et surtout des femmes immigrantes.»

Nous n'étions pas femmes à baisser les bras. Vous connaissez la carrière de Michaelle Jean et un peu la mienne.

Bien entendu, nous avons toutes deux quitté Radio Canada.

Un jour, j'écrirai ce qui a valu mon départ, et la dernière phrase entendue par un des patrons: «la mode n'est plus aux Juifs mais aux Musulmans.»

 J'étais sortie du bureau abasourdie, d'autant que je ne m'identifiais pas comme Juive mais comme une femme tout simplement en amour avec son métier. Et que je ne pensais surtout pas qu'être Juifs, Musulmans ou Chrétiens faisait partie d'une mode qui passera, comme par ailleurs toutes les modes.

Toujours est-il que ce journaliste qui couvre le parlement européen, ce matin du 17 décembre 2019, m'a rappelée à l'ordre et fait remonter ces souvenirs en moi.

Sachant que nous plongeons en pleine transparence planétaire organisée, je pensais qu'il était de mon devoir de rédiger ces quelques lignes pour que les jeunes femmes journalistes immigrées, racisées, imbibées d'autres cultures que celle du pays où elles exercent ce merveilleux métier, ne sentent pas le complexe de l'usurpatrice les envahir plus souvent qu'autrement par le regard déformé que les autres portent sur elles.