mercredi 6 septembre 2023

Le Tango de Montréal


  
Un jour de l’été 2022, je passais par le cordonnier de la rue Saint-Cuthbert et Saint-Laurent à Montréal lorsqu’une femme m’interpelle. Immédiatement, je reconnus la voix et surtout l’accent argentin de Laura Eva Steinmander, que je n’avais pas revue depuis plus de 15 ans. Laura, c’est avec Paul, la Tangueria de Montréal. 
 
L’ivresse des allers-retours
Nous nous sautons dans les bras, « un abrazo fuerte como en el tango ». Et comme sait si bien le faire Laura, directement, elle me demande pour quelle raison je ne danse plus le tango. Je lui explique mon remplacement complet du genou, il y a 10 ans, et mes craintes de me retrouver sur la piste de danse avec ce que je pensais être un handicap. Elle me rassure et insiste que je devrais recommencer. 
 
Je me rends à la tangueria à Montréal la semaine suivante avant d’aller passer l’hiver en Espagne. Un homme m’invite à danser et dès le 4e pas, m’abandonne sur la piste en me disant :
« C’est pas vrai que je vais me faire guider. »
 
J’ai quitté la Tangueria très vite. J’ai appris plus tard que le guideur en question était un cas problème, un peu beaucoup « starbé » et identifié comme tel par la communauté.
Car, disons-le franchement, le milieu de tango est un microcosme de notre société. Toutes les personnalités s’y retrouvent représentées. Toutes, vraiment toutes ! Les pires comme les meilleures.
 
Mais Laura avait semé la graine dans mon cerveau. 
 
Grand retour au tango
Puis, au mois de janvier 2023, je me retrouvais par hasard grâce à un ami à qui je dois mon grand retour au tango, je lui suis d’ailleurs très reconnaissante, au Kimmy’s à Casablanca au Maroc dans une des soirées organisées par Simo. J’ai raconté ce retour réel au tango dans cet article consacré à Simo
En hommage également à mon père musicien qui jouait, pour les Américains à Casablanca, avec l'orchestre qu'il dirigeait le Blue Stars, au United Seamens Service (Seamens Club) Où je me retrouvais le lendemain de mon grand retour au tango avec la communauté tango de Casa. 

Puis, j’ai recommencé tranquillement à Malaga à reprendre confiance en mon genou, à mon équilibre grâce à Ennio Fioramonti à Cristiàn Petitto, à Berta Palacio Cambior et à Carolina Aguilar Saèz à qui j’ai consacré un article dans le Petit Journal Andalousie. Et à Montréal, grâce à mon premier prof de tango également danseur de flamenco, il y a 30 ans, avec lequel je retrouve ma confiance petit à petit, Bobby Thompson et à Andreas et Wolf Mercado de Mon Tango. Et disons-le grâce aux milongueros, comme les deux Gilles, qui invitent toutes les femmes à danser, les petites, les grosses, les grandes, les débutantes, les intermédiaires, les pros… Ils ne sont pas nombreux, mais il y en a. 
 
« On voit à la démarche de chacun s’il a trouvé sa route, l’homme qui s’approche du but ne marche plus, il danse. »   Friedrich Nietzsche 
 
Ainsi, de retour à Montréal, comme chaque année au mois de mai, j’ai tenté un retour vers les milongas. Bien sûr, en premier vers l’incontournable Tangueria, comme un grand retour à la maison dans la famille. J’écrirai plus tard à propos de la Tangueria ainsi que sur Mon Tango, car il y a tant à dire. 
 
Le Cosy – Le Bisou – Santiago et Missy
Ici, après ce long préambule, je vous parlerai du Cosy – Montréal ou plutôt du Bisou. 
Je m’y retrouvais un mardi soir sur l’indication d’un ami, Gilles, un des milongueros qui m’a beaucoup fait pratiquer. C’était dans une salle arrière sympathique cosy comme son nom l’indique. Puis la semaine suivante, toujours le mardi, nous nous retrouvions dans la grande salle en avant, dont le plancher avait été refait. C’est dans cette ambiance feutrée que j’ai eu la chance de pratiquer et de raffermir mes muscles pour mieux reprendre ma passion débutée à l’âge de 3 ans alors que mon père me trimballait petite fille, dans les bals à Casablanca, qu’il  m’installait assise sur le bord de la scène, mes jambes ne touchaient pas le sol. Plus tard, adolescente, c’était au bal du samedi soir à l’Alliance Française de Montréal qu’il m’amenait pour prendre goût à la musique et à la danse. 




 
Au Cosy, le premier soir, j’ai revu avec un immense plaisir Santiago. Et j’ai connu Missy, sa partenaire et amour qui partage sa vie. Je suis immédiatement tombée sous le charme.
 
Missy
Missy, c’est le genre de femme qu’il est impossible de ne pas remarquer. Son regard pétillant, son accent bulgare si charmant, happe notre attention. Missy, c’est la partenaire de vie de Santiago, de l’Académie de tango de Montréal, développeure en informatique de formation et de métier. Je l’ai rencontrée un après-midi du mois d’août pour parler de sa passion pour le tango. 
Non pardon, de « son besoin du tango » selon ses propres mots. Lorsqu’elle ne danse pas pendant un certain temps, il lui faut se retrouver vite dans les bras d’un partenaire de danse. C’est un besoin viscéral. Elle m’a raconté sa participation et son expérience à TVA le 14 novembre 2021 à l’émission Révolution. Les conditions de tournage l’ont marquée car elles se déroulaient pendant la Covid. Ce qu’elle en a retenu, c’est de se retrouver en compétition dans une épreuve ultime en demi-finale avec des danseurs de haut-niveaux. Missy connaît l’impact de la télévision puisque 2 ans plus tard, les gens lui parlent encore de sa performance à l’émission de TVA.
 
Dans le tango, dit-elle, il y a les codes qu’elle n’apprécie pas toujours en femme authentique et directe qu’elle est. Les masques ne sont pas pour elle. Et dans le tango, il y a aussi, ces masques incontournables qu’elle préfère outrepasser en femme au regard rieur sur les choses de la vie. Elle sait qu’en toute personne il y a un bon côté à découvrir et qu’aussi étonnant que ça puisse paraître, le tango fait émerger d’après Missy les blessures de l’enfance, les défauts comme les qualités d’une personne. 
 
 « Si je sens le masque d’une personne, je vais persister et persister jusqu’à ce que cette personne me montre son vrai visage, la véritable personne qu’elle est, et si je la lâche c’est que la personne qu’elle est véritablement ne m’intéresse pas. Le tango dévoile les gens. » 



 
« Nous pouvons discuter le tango et nous le discutons, mais il renferme, comme tout ce qui est authentique, un secret. » José Luis Borges
 
 
Santiago 
Santiago, lui c’est autre chose. Je le connais depuis au moins 30 ans et chaque fois que je le côtoie, j’ai l’impression qu’il va s’exprimer en « lunfardo » tout Argentin qu’il est. A cette époque, la première fois que je l’ai rencontré dans l’étroit corridor, à la porte de l’ancienne tangueria. Il arrivait d’une soirée Salsa, et, sans me connaître, me dit : comment on danse le tango, donne-moi le pas de base? Je m’exécutais pendant une dizaine de minutes puis je le laissais entrer dans l’antre de la Tangueria bondée, celle du boul. Saint-Laurent. 
 
Tous les chemins mènent au tango, y compris celui-là.
Cette soirée-là, je le vis s’assoir et passer toute la soirée à observer les pas des danseurs sur la piste. Il m’a raconté qu’après cette soirée, il a décidé de prendre des cours et intense comme lui seul peut l’être, s’est consacré à temps plein pendant deux semaines pour apprendre à danser avec Antonio Perras, alors que ce dernier lui mentionnait qu’il fallait 10 semaines pour apprendre et maitriser les pas. Il lui a acheté une trentaine de cours et à raison de deux heures par jour, il est arrivé à ses fins. Ce que l’amour peut vous faire faire dans la vie car, disons-le, c’est l’amour d’une femme et son désir de la conquérir par la danse qui a poussé Santiago vers le tango. 
 
Et ça lui a réussi puisqu’il a ouvert plusieurs lieux de tango à Montréal en créant l’Académie de tango. Et puis un jour, il a eu un accident devant l’Académie sur le boul. Saint-Laurent, une voiture l’a frappé. Depuis, et à cause de ses souffrances physiques, il dit avoir compris l’humilité dans la vie au contraire de l’arrogance. 


 
Nourrir le tango
Santiago n’a jamais abandonné le tango ni le tango ne l’a abandonné. Le tango ne disparait jamais lorsque vous l’avez rencontré dans votre vie. C’est aussi la danse qui ne disparaitra jamais dans le monde. Les autres danses disparaissent, selon les modes et les époques, mais jamais le tango. Il est toujours vivant dans toutes les communautés dans le monde et de manière régulière sans perte d’intérêt nulle part. 


Les instruments vivants se répondent
Puis au cours de notre rencontre, Santiago me demande de but en blanc si je comprends bien la musique de tango. Je lui réponds ce que mon père, musicien de tango, m’avait expliqué un jour : « Si tu aimes le tango, c’est parce que le rythme se compte comme les battements du cœur. »
 
Santiago et Wolf m’ont enseigné une autre manière d’analyser la musique. Celle d’y voir des instruments correspondant à l’homme et d’autres à la femme : 
 
« Le piano et la basse, ce sont les hommes, le violon et la flute représentent la femme et le bandonéon raconte l’histoire. Et, dans cette histoire que s’installe un respect : « 16 temps pour toi et 16 temps pour moi. » 
Ainsi dans les morceaux de musique, il y a l’expression de l’amour ou du désamour de la femme par l’homme et la réponse de la femme selon les instruments et les phrases musicales et contre-phrases.  Pour Santiago, l’exemple le plus parfait de ce dialogue passionnel qui s’installe entre les instruments ou entre l’homme et la femme, c’est le tango de Miguel Calò : « Que falta que me haces », dont les paroles ont été écrites après la mort de sa femme à qui il crie par le biais des instruments et qui ne lui répond pas.
 
Le tanguero et le milonguero
Et puis, après m’avoir fait écouter attentivement la musique pour déduire les dialogues entre les instruments, Santiago a défini un danseur traditionnel, ce qu’est un tanguero et un milonguero. À vous de vous définir selon les descriptions suivantes :
-       Le milonguero est celui qui sait extrêmement bien danser qui va entrer dans la milonga, un passionné. C’est celui qui arrive le premier ou presque. Il passe son temps à inviter à danser toutes les femmes seules, débutantes ou non, puis à la fin de la soirée, il est le dernier à partir si bien qu’il invite la femme de ménage à danser avec lui. Car ce qui lui importe le plus, c’est de danser. 
-       Le tanguero, lui est extrêmement arrogant. Il va s’assoir à une table tout seul, va se commander une bouteille au bar et attend, observe la salle, il commence sa recherche et identifie une bonne danseuse. Et il attend la bonne tanda, la sienne. Il restera assis 90 p. cent du temps. Puis, il se dirige finalement vers celle qu’il a identifié si elle est libre. Sinon, il retourne s’assoir. Il s’exécute avec son propre style, son langage et son identité. Et la salle admire le danseur qu’il est et son style. 
 
-       Pour la femme, c’est différent, selon Santiago. Comment sait-on qu’un homme est un bon danseur? C’est celui qui suit la femme. C’est celle qui donnera la réplique à l’homme par des pas bien exécutés, qui fera en sorte que le guideur se sente le meilleur guideur ou danseur du monde. Celui qui gère bien l’espace entre eux et dans la salle. Il y a dans cette explication un peu de la vraie vie, concernant les hommes et leur relation avec les femmes. Non? L’homme guide, fait son rôle de poteau mais va suivre également ce qu’il guide à la femme et sa manière de l’avoir interprété. 


Danser!
Le Bisou, le nouveau lieu de tango que Santiago a créé est l’ancien Cosy. Santiago explique que ce sont les danseurs et les habitués qui ont créé ce lieu et non pas lui. Chaque semaine, les danseurs, lui font des suggestions de décor et pendant la semaine il tente de les concrétiser. Le mardi soir, l’excellent Dj, Alexis Boileau, assure la musique, de la milonga au tango – valse au tango nuevo, il est attentif aux danseurs, aux habitués, Sarah, Sean, Geneviève, Leonardo, Madeleine, Gabriel, Marc, Nicole, Gilles, etc. et aux variations pendant la soirée. 
 
Ces racines qui dérangent
On dit que le Tango est né en Argentine. On dit qu’il serait né en Uruguay. On dit aussi qu’il serait né en Afrique et en Andalousie. On lui prête de nombreuses autres naissances à Paris et à Berlin. Une chose certaine, c’est que ce qui le fait vivre aujourd’hui, c’est la communauté internationale et celle bien vivante de Montréal. 
 
Où que vous alliez, à Montréal, Malaga, Berlin, Casablanca, Paris, Mexico, etc. Vous trouverez une communauté tango qui vous accueillera avec une pincée de culture du pays. 
 
Métissage ou non! 
 
« Ceux qui disent que vous ne pouvez pas danser le tango si vous n’êtes pas Argentin se trompent. Le Tango est une musique d’immigrants, il n’a pas de nationalité! » Carlos Gavito





Dimanche 1er octobre 2023, toute la communauté tango de Montréal se retrouvera au Club Espagnol du Québec, pour appuyer les grands-mères de la Place de mai à Buenos Aires qui sont toujours à la recherche de leurs enfants et petits-enfants disparus. Car la communauté tango c'est aussi une implication sociale.
Et ce sera en direct avec Buenos Aires. 












Le Bisou 1483, Avenue du Mont-Royal E suite 200, Montréal, QC H2J 1Z1 - +1 438-378-3571
 
La Bible du Tango
Le calendrier de tango en Amérique du Nord : Tango Express
 
Où danser le tango à Montréal , entre autres : 
-       La Tangueria
-       Mon tango
-       Grand studio de danse Laval 
-       Las piernas