mardi 27 novembre 2012

L'ÉDUCATION, LA CULTURE ET LA PÉDAGOGIE DU SAVOIR


Ce matin, en me levant, je trouvais trois ou quatre messages privés sur mon fil twitter. L’un d’entre eux, celui de

@EvelyneAbitbol Vous avez un allié en Pierre Foglia, qui ramène les pendules à l'heure sur ces sujets Article

J’ai repensé à ce qu’une de mes abonnées twitter a raconté il y a quelques semaines, à propos de la Fête du mouton, L’Aid el Kebir. Elle demandait qu’on ne lui enlève pas « son arbre de Noel après ça » : son petit fils, de famille québécoise/catholique ou laïque, c’est selon, est revenu de l’école, les mains peintes en rouge pour symboliser le sang, la soumission d’Abraham et par extension la soumission de tout croyant à dieu.
Jamais au grand jamais cette coutume de peindre les mains des enfants pour symboliser le sang ne fait partie de quelque coutume que ce soit au Maroc, mon pays d'origine, et après recherche, dans aucun pays arabe. Les Québécois sont si tolérants que certains en profitent pour s’inventer une coutume et la mettre en pratique.

Si j’avais été cette Québécoise, j’aurai retiré mes enfants de l’école. Pas parce que je suis contre les religions mais parce que je suis contre les symboles religieux qui suscitent quelque violence que ce soit. Le sang ou la représentation du sang sur les mains en est une.

Cette journée-là, je passais pour une intolérante sur twitter.

Cette journée-là, j’étais invitée chez mes amis musulmans pour manger un couscous, justement pour souligner cette fête, qu’il faut partager avec la famille, les voisins, les amis et les pauvres. Aucun des musulmans - marocains, algériens et libanais présents, n’avait entendu parler de cette coutume "barbare", ce sont leurs propres mots, dans leur pays.

Ils étaient révoltés par cette nouvelle coutume improvisée et par la tolérance aveuglée des Québécois.

Je ne mange pas de mouton. Aussi, je n’ai pas pu honorer la bête cette journée-là.

Je préfère mieux encore le coq à l’âne.

Je n’ai rien contre l’enseignement de l’histoire des religions. Au contraire, lorsque jeune enseignante, je me proposais de remplacer le cours de morale, dont j’avais hérité, par l’histoire des religions, la direction de l’école avait refusé et n’était pas prête à recevoir cette suggestion.

Je tenais, en 1996, une chronique à Radio Canada : les Humanités sur Internet (Humanité/virtualité). Je pense avoir parlé de la Fête du mouton. Jamais je n’avais entendu parler de la représentation du sacrifice et du sang sur les mains des enfants.

Je reviens sur cette chronique de Foglia dans la Presse d’aujourd’hui, qui m’incite à vous raconter ce qui m’est arrivé il y a deux ans.

Court préambule : je l’ai dit et répété, je suis immigrante arrivée enfant ou tout juste avant l’adolescence au Québec. Lorsque j’avais 14 ans, je ne devrais pas le dire parce que je n’avais pas l’âge légal, j’ai travaillé les samedis, les dimanches et les étés dans un salon de coiffure à Westmount, et ce, jusqu’à l’âge de 18 ans. Et oui, tout comme Fabrice Luchini.

Il faut croire que l’esprit le moindrement littéraire et philosophique aime ce vagabondage dans les méandres du chevelu naturel et de l’incursion dans les têtes.  

Comme tout immigrant, mon père était ravi. Sa fille se dirigeait vers un métier qui lui permettra de survivre financièrement. J’ai bien dû le décevoir lorsque j’allais à l’université pour y étudier d’abord en science politique puis la littérature et la psycho-pédagogie. J’étais piquée et j’avais cette soif de partager l’amour de la littérature, des mots, de la grammaire et de l’orthographe.

Et voilà. J’y suis. Je me suis délectée en lisant le texte dans la Presse ce matin. Je me suis posée la question : comment un étranger? Ce monsieur François Marcotte a compris que M. Foglia était mon allié?

Il ne connait pas cette histoire. Lorsqu’il la lira, il saura qu’il a frappé dans le mille à plusieurs égards.

Ce qui a suscité ce texte-ci, c’est cette phrase :

«  Les nouveaux profs? Zéro en littérature, zéro en philo, zéro en histoire, mais 100% en pédagogie. Du savoir-faire en masse, peu de savoir tout court. »

Au sortir de l’université et, avant de plonger dans le journalisme parce que c’était le métier que je voulais exercer, depuis enfant, imbibée des livres du Club des Cinq, j’ai fait ce que toute immigrante se doit de faire, s’assurer d’un métier vers lequel elle pourra toujours revenir si les temps sont durs.

J’ai donc passé 5 ans à enseigner à l’école secondaire protestante mais d’abord catholique. On m’y avait acceptée, puisque je portais le nom de famille de mon mari québécois/catholique de naissance et de souche, non sans me faire faire la remarque, de ne pas dévoiler mon identité juive et d’être discrète à ce propos.

Ces 5 années d’enseignement à temps plein me permettaient d’obtenir un brevet et un permis d’enseigner à vie et même d’ouvrir une école québécoise, m’avait-on assuré, pendant l'un des cours de psychopédagogie.

J’y ai enseigné le français, l’expression dramatique, et croyez-le ou non, la biologie – que j’étudiais la veille et la dactylo - je ne savais pas taper avec la méthode à l’époque, personne ne s’en est rendu compte. "Quand on est une bonne pédagogue", m’avait dit le directeur et, "c’est ton cas, on peut enseigner à peu près n’importe quelle matière..."

Or, voilà qu’il y a deux ans, je repensais à mon premier métier, pas celui de coloriste mais celui d’enseignante au secondaire et, je me disais que ce ne serait pas une mauvaise décision que d’y retourner avec, comme bagage, une vie professionnelle bien remplie.

Redonner aux jeunes le goût d’apprendre. J’ai bien sûr initié le projet Fusion Jeunesse
 mais ce n’était pas suffisant. Je voulais retourner dans une école après avoir passé 13 ans comme cadre et chargée de cours en études françaises à l’université Concordia. Et après avoir été comblée par les différents postes que j’ai occupés. Je n’avais plus rien à me prouver.

Je postulais donc comme enseignante dans une école de Montréal.

J’ai aussi pris la peine de me renseigner auprès de la commission scolaire. Et, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre la dame me répondre au téléphone que je devais passer un Examen de français obligatoire maintenant.

J’acquiesce, bien entendu, puisque c’est obligatoire. Maintenant. Elle m’informe que l’examen se passe tous les deux ou trois mois, si je me souviens bien, et qu’il y avait bien un examen prévu le lendemain mais que, comme je n’avais pas étudié les livres, je ne devrais pas essayer de le passer.

Je la contredis en lui mentionnant que j’étais journaliste, que j’avais été chargée de cours, pas plus tard que l’année précédente à l’université Concordia, en études françaises et, que je ne croyais pas avoir besoin d’étudier la grammaire et l’orthographe. Que j’avais passé, à l’âge de vingt ans, un an ou deux avec le Bon Usage comme livre de chevet et je devrais pouvoir m’en sortir.

Arrivée à l’examen, quelle ne fut pas mon autre surprise de voir des jeunes plongés dans un cahier d’exercice, oui, un cahier d’exercice et non les yeux rivés sur leur téléphone intelligent ou isolés derrière leur fil blanc.
Je me risquais, par-dessus l’épaule, un coup d’œil sur les pages de mon voisin. La phrase faisait référence à « quatre vingt » (sans s et sans trait d’union) ou « quatre-vingts » (avec un s et un trait d’union). Je souriais.

Ce que je ne savais pas, c’est qu’il suffisait d’apprendre par cœur le cahier pour satisfaire aux exigences de l’examen.
Ce que je ne savais pas non plus c’est qu’il fallait écrire avec un stylo. J’avais de la difficulté non seulement à tenir un stylo, trop de machine à écrire et d’ordinateurs et, comble de malheur, je ne suis pas de la génération des correcteurs instantanés qui m’ont fait perdre un temps fou tant je les déroulais sans savoir comment m’en servir.

Je passais donc l’examen avec une note honorable qui me permettait de rappeler la dame en question pour lui demander si tout était okay et si j’avais une chance de pouvoir réintégrer un poste d’enseignante.

Là. Je vous le donne en mille. La dame me répond : c’est vrai que vous avez eu un bon résultat compte tenu du fait que vous n’avez pas étudié. Aussitôt ces paroles prononcées, je me proposais d’étudier les livres en question, pour reprendre l’examen et améliorer mon résultat, si nécessaire, lorsque la dame m’affirme que, mon 2e diplôme obtenu en 1980, n’était plus valable et qu’il me fallait retourner étudier une année de pédagogie à l’université car les méthodes avaient changé.

Je tenais l’appareil téléphonique dans les mains. Sidérée. Il me semblait qu’un certificat en psychopédagogie, obtenu en sus d’un baccalauréat en littérature plus la validation d’un permis/brevet d’enseignement, étaient suffisants. Et que le fait d’avoir enseigné à l’université un an auparavant était garant d’une approche pédagogique sérieuse et significative. Et bien. Non.

Cette journée-là, dans les journaux du matin, je me souviens avoir lu qu’il y aurait, au Québec, un assouplissement de la reconnaissance des diplômes des étrangers.

Mais là. Nous étions dans un autre monde. Les diplômes obtenus au Québec, eux, n’étaient pas reconnus et avaient une date de péremption.

J’ai été plusieurs heures à tourner et retourner cette expérience dans ma tête. Pour comprendre où était l’erreur. Certains chercheurs universitaires obtiennent des postes de professeurs alors qu’ils font d’importantes recherches mais sont de piètres pédagogues. Jamais il ne leur est demandé de se mettre au diapason. À jour.

Je connais des professeurs universitaires qui n’ont pas encore fait le saut dans le merveilleux monde de l’informatique ni ne connaissent les médias sociaux ni même les i-cloudés de ce monde.  

Je me dois de donner raison à la dame qui m’a parlé au téléphone. Je ne suis pas de la bonne génération des nouveaux enseignants. Je ne sais pas utiliser les correcteurs instantanés que je fais dérouler sans savoir ni comment cibler et les arrêter pour blanchir et effacer les erreurs.  

Pour clore ce partage d’expérience. Hier, je me trouvais au Complexe Guy Favreau. Je cherchais l’ascenseur, lorsque j’entends l’homme de maintenance, diriger avec un accent espagnol, un homme qui cherchait les toilettes. Il indique la bonne direction à l’homme qui ne l’a pas même remercié. Et à l’homme de maintenance de dire avec un sourire attristé: « De rien Monsieur. Bonne fin de journée. »

Parfois, je m’arrête pour discuter avec ces personnes qui agissent avec civisme pour connaître leur histoire et surtout pour savoir quel diplômé se cache derrière l’immigrant. Je ne l’ai pas fait. J’aurais été peinée de le savoir.

 Voilà. J’ai voulu raconter cette histoire qui m’est revenue en lisant la chronique de Foglia ce matin, histoire de nous sortir du climat de désespérance mondiale pour entrer dans la désespérance locale.

Dixit Foglia : … dans le sens du poing sur la table: ça va faire, les niaiseries!


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