dimanche 11 octobre 2020

L'Écho des Chaudrons

J’ai lu l’Écho des chaudrons comme les deux précédents livres de Michel Duchesne, l’Écrivain public et la Costa des Seuls, lentement pour savourer l’atmosphère qui y règne et qu’elle reste encore un peu à roder autour, une fois le livre refermé. 

Parce que j’ai ri tout au long de la lecture. 

Ils sont rares les romanciers qui, de nos jours, provoquent chez le lecteur une prise de conscience des inégalités sociales dans le rire mêlé à de la tristesse. Vous savez, ce type de rire qui nous arrache les larmes aux yeux. De par la tendresse qui transparait en filigrane. 

Michel Duchesne est un de ceux-là. 

Il est devenu au fil des ans le sociologue de la littérature. L’indigné parmi les indignés qui arrive par un tour de force et ses mots justes et forts, à nous dresser un portrait copié-collé de la société à l’est de la frontière de la rue Saint-Laurent. 

Il parvient à nous envelopper et à nous entrainer dans un univers que peu connaissent, celui d’Hochelaga-Maisonneuve. Il y avait longtemps que l’univers de Michel Tremblay ne nous avaient pas atteints par une autre source. 

La cuisine collective

Le nouveau livre de Michel Duchesne, pour faire écho aux chaudrons, ouvre la porte à un de ces univers de quartier, celui de la cuisine collective. Un univers décrit dans une mise en abime, sous forme de journal où les points de vue se chevauchent autour de la cuisine ou encore autour de l’univers illustré,  l’Écho de Tursar, créé par André Montmorency, Momo pour les intimes.

Il y a les personnages qui font partie du groupe des Fourchettes d’or, ceux qui cuisinent pour les plus démunis qu’eux, les Passé Dates, ce sont eux qui nous arrachent tout à la fois des larmes et des rires. 

Les indignés

La force de ce roman, comme par ailleurs celle des trois autres de l’auteur, c’est justement ce passage constant entre la sensibilité, la joie, la tristesse, l’humour décapant et bien sûr l’indignation. 

Voire même le désespoir des personnages décrit à feu doux. Démunis? Non! COURAGEUX, ces personnages analphabètes qui côtoient l'étalage de culture de Momo.

Pas étonnant que l’auteur cite Germinal de Zola. « Jamais vous ne serez dignes du bonheur, tant que vous aurez quelque chose à vous, et que votre haine des bourgeois viendra uniquement de votre besoin enragé d’être des bourgeois à leur place. » 

Michel Duchesne a une plume fine, acérée, tendre et sarcastique. Il a une manière toute à lui de passer d’un état à un autre en un tour d’éventail. Il personnifie tout sur son passage. Même les légumes, les épices et les arbres, « moi être un arbre, j’étoufferai à Montréal » et se venge au passage sur les tomates ou lorsque Mylène « faisait la peau à des poivrons fanés. » « Flang! Il envoya les navets à leur destin de crème… » 

Mathieu, l'écrivain public

Tout passe par la bouche et les réflexions de Mathieu, le narrateur, oui oui, le même écrivain public qui « rides again » celui qui s’adresse à vous dans ce livre, ou celui autour duquel tous les autres personnages gravitent. Comme pour ne pas nous donner qu’un point de vue sur la même situation. J'ai entendu dernièrement cette expression dans un documentaires sur la décolonisation : "on écrit pas l'histoire avec une gomme". Mathieu/Michel n'utilise pas d'"efface".

Michel Duchesne, donne la parole à Mathieu, le narrateur principal, à sa mère, à des posts facebook, aux réflexions de sa fille ado, pas facile celle-là et l'univers vrai de André Montmorency, le faux, celui qu'il crée Tursar, les deux entremêlés, lui l'exécrable, sans noblesse (snob) et pourtant si attachant. 

Pauline, qui me faisait penser à la passionnée Johanne Fontaine à qui ce livre est dédié. Nous l'entendons s'exprimer, pour celles et ceux qui l'ont connue, elles/ils reconnaitront ses manières de tourner les mots et les phrases que tout un chacun exprime dans la vraie vie d'Hochelaga. 

L'écrivain, Michel Duchesne

Lorsqu’on rencontre Michel Duchesne, on ne peut que saisir le personnage, lui-même, à fleur de peau, qui fait dire à Momo : « Nous autres, artistes, sommes simplement des catalyseurs qui captons des messages soufflés par de vieilles âmes. » 

 “ Il ne sert à rien d'éprouver les plus beaux sentiments si l'on ne parvient pas à les communiquer." Stefan Zweig 

L'auteur les communique si justement ! Si joliment! Son écriture est son allié le plus fidèle, comme Camus ! J’ai toujours pensé que le culturel était là pour que le politique puisse se donner bonne conscience. Que jamais le politique ne soutiendra vraiment le culturel ou les plus démunis. Ça ne rapporte pas! Et une fois au pouvoir, il faut démontrer que les budgets sont équilibrés pour assurer la prospérité économique.

Michel Duchesne est un romancier qui a trop d’injustices à dire, à dénoncer, à crier pour limiter sa vision. Il est indigné et rien n’échappe à son indignation. La religion, la politique, le milieu des subventions sous perfusion surtout pour le monde des pauvres, les relations mère-fils ou filles, ou père-fille, les artistes déchus, l'analphabétisme et le défi d'éducation, les immigrés et les difficultés de l'intégration… 

Aragon est devenu idiot (c’est mon opinion) quand il a commencé à faire de la politique, comme les autres poètes et écrivains qui s'y sont frottés. 
Parce que la création littéraire se trouve dans l’illimité, dans l’universel, en murmure quelque part dans l’univers entre la terre et les étoiles. Elle ne peut pas vivre avec un horizon plat, limité.

Michel Duchesne est un révolutionnaire sans révolution (Re : au titre du livre de André Thirion). Faites-vous partie des révolutionnaires sans révolution, des indignés? 

Si vous vous perdez parfois sans vous révolter sur le sort du monde, si vous êtes découragés par le manque d'empathie et d'humanisme, si vous doutez de l'humanité, il faut lire les livres de Michel Duchesne, pour vous rappeler qu’il existe plus démunis et plus humains parmi les chantres de la démocratie participative, qui ne mettent jamais la main à la pâte.

Et ce temps de Covid, on a qu’une envie, c’est de s’enfermer et d’aller cuisiner avec ce beau monde. On se dit que toute l’authenticité se trouve là dans la cuisine collective alors que le reste de la société n’est que duperie.

Des prix bien mérités

À notre grand bonheur, Hochelaga-Maisonneuve n'est pas uniquement connu par les Montréalais ou les Québécois en général. L’univers que décrit Michel Duchesne a sauté par-dessus les frontières pour se recevoir le prix des Droits humains à Bilbao, pour l’Écrivain public, série web, celui de la meilleure série internationale à New York, celui du meilleur scénario à Séoul et pour compléter le tableau chez nous, le 20 septembre 2020, la 3e saison de L’écrivain public scénarisée par Michel Duchesne et Éric Piccoli a gagné 3 prix Gémeaux : meilleure réalisation pour ce dernier et les mérités prix d’interprétation pour Emmanuel Schwarz et Sandrine Bisson. Majestueuses interprétations.

L'Écho des Chaudrons, disponible dans toutes les librairies

Et via le web à partir du 14 octobre. 

vendredi 2 octobre 2020

L’État à l’épreuve de la culture

Depuis 20 ans la diversité culturelle a été le cheval de bataille du gouvernement québécois pour s’affirmer autant sur la scène internationale que sur la scène intérieure dans sa relation avec Ottawa. À ce dernier, le multiculturalisme, et au Québec la diversité culturelle!

La preuve en est que les principaux spécialistes, reconnus internationalement, sont québécois dont Yvan Bernier, professeur émérite de l’Université Laval qui a rédigé avec l’ ancien ambassadeur de France à L’UNESCO, la Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles culturelle de 2005.

Mais jusqu’ici on a abordé cette question sous l’angle de l’économie et des institutions internationales. Il manquait un ouvrage qui fasse le lien avec nos cultures en mutation « un ouvrage d’ensemble qui restitue la diversité culturelle dans le contexte des grands enjeux contemporains... comme le souligne, Jean Musitelli, conseiller d’État et co-auteur de la Convention, dans la préface du livre intitulé : « Diversité culturelle, vers un état culture » qu’a publié Fulvio Caccia aux éditions Laborintus.

Passé inaperçu à tort

Lorsqu’il est paru pourtant en 2018, cet ouvrage de synthèse et de réflexion est passé inaperçu. J’ai souhaité le mettre en lumière parce qu’il croise justement l’expérience de l’espace nord-américain et le temps long de la culture politique européenne.

Il revenait à un écrivain « allophone » québécois vivant désormais en France de le faire. Et qui plus est un écrivain à « la croisée des cultures », en mesure d’apprécier ce qui participe de l’un et ce qui revient à l’autre.

Fulvio Caccia, né à Florence, a vécu au Québec de nombreuses années où, il a cofondé la revue transculturelle Vice Versa, qui regroupait des écrivains, philosophes, poètes... de toutes origines selon une logique « éminemment vice-versienne ».

Fulvio Caccia a fini par s’installer par la suite à Paris où il a fondé l’Observatoire de la diversité culturelle et plus récemment une autre association LinguaFranca, un collectif d’écrivains, de chercheurs et de traducteurs qui défendent la littérature transnationale.

Qu’est-ce que la diversité culturelle?

Certains d’entre vous qui me lisez savent peut-être que j’ai exercé les fonctions de

« Conseillère spéciale à la diversité culturelle » à l’Assemblée nationale auprès du Parti Québécois.

Cet ouvrage ne pouvait donc me laisser indifférente. Je connaissais l’auteur qui fut dans les années 80, un des animateurs de la scène transculturelle montréalaise.

Mais plus encore son propos rejoignait mes propres questionnements :

Un état est-il nécessairement national?

Peut-on en faire l’économie en plaçant directement le curseur sur la culture? Mais qu’est-ce qu’une nation?

Qu’est-ce que la culture?

Un peuple?

Toutes ces interrogations on les retrouve en discussion dans cet ouvrage.

D’emblée avant de questionner d’où vient la culture? Fulvio Caccia pose la grande question du XXIe siècle : L’expression de la diversité culturelle peut-elle contribuer à redéfinir le vivre-ensemble ou, au contraire, est-elle le masque avenant de l’ultralibéralisme pour légitimer les inégalités qu’il génère? A-t-elle pour finalité cachée la liquidation de la civilisation, comme certains la redoutent, ou est-elle l’accomplissement de cette république universelle portée par les humanistes de la Renaissance et des Lumières?

L’exil et l’universalisme

À partir de ces interrogations essentielles, Caccia dresse un chemin qui mène non pas à des affirmations mais vers d’autres sujets qui questionnent toujours plus, greffés à celles touchées au départ.

Qu’est-ce qu’un exilé? Un nomade?

 Un latin ?

Les arts libéraux?

La culture et sa transmission par l’éducation ?

Le rapport de l’humanité avec son environnement?

D’une page à l’autre, d’une référence à l’autre, Caccia nous plonge dans des redéfinitions contemporaines.

L’universalisme ou du moins la crise de l’universalité n’est pas épargnée. Écartelée « entre le procès d’intention et le refus de retrouver son sens originel ».

Pour toute réponse, celle d’Edgar Morin qui explique l’échec des politiques :

« Il est quasi impossible, quand on obéit à la pensée compartimentée et parcellaire, de voir la figure d’ensemble, c’est-à-dire civilisationnelle de problèmes que l’on conçoit disjoints et qu’au mieux on juxtapose en patchwork. »

N’est-ce pas ce qui se passe en ce moment même dans nos civilisations démocratiques au nom même de cette démocratie?

Le morcellement des communautarismes au nom du multiculturalisme.

Et si nous envisagions de prendre en considération un nouveau type de citoyenneté?

Une citoyenneté transculturelle pour la « désenclaver de son idéalisme ou de son cosmopolitisme supposé pour lui donner un réel ancrage politique. »

Les Bobo, idiots utiles?

Un nouveau type de citoyenneté est en train d’émerger.

Elle serait éloignée des bons sentiments de la bien-pensance, entretenue par un certain militantisme de gauche « politiquement correct » qu’on attribue parfois à tort à une frange de ces Bourgeois-Bohèmes qui préempte les quartiers populaires des centres- villes et pave la voie aux fondamentalismes.

Cette citoyenneté en devenir se fonde sur l’expérience du déplacement telle qu’elle a été vécue à travers l’exil et l’immigration.

Dès lors se pose pour l’exilé et l’immigrant et surtout ses descendants la question de l’allégeance : « un sujet plus que jamais sensible de nos jours. Le retour à un nationalisme de stricte obédience nie cette réalité et contribue à entretenir la fiction d’une culture-racine (comme dirait Glissant) fondée sur le mythe de sa propre pureté divine »

Ulysse, l’exilé

La figure de l’exilé et plus encore de l’errance qui mieux qu’Ulysse le personnifie L’Odyssée qu’il entreprend a des échos très contemporains sur notre propre quête d’identité. C’est à lui que demande :

- Qui es-tu? Lui demande le rhapsode des Phéaciens au terme de son odyssée.

- «Mon nom est personne, lui répond le vainqueur de la guerre de Troie ayant oublié les exploits qu’il avait accompli alors avant que le rhapsode ne lui rappelle.


C’est à ce moment seulement qu’il se souvient et qu’il prend pleinement conscience de qui il est. Dès lors il pourra retrouver le chemin de sa maison.

Cela a un air connu pour nous Québécois, comme notre devise : JE ME SOUVIENS !

C’est dans cette perspective que cet ouvrage est intéressant. Quiconque plonge dans cet essai en ressortira non seulement indemne mais avec une meilleure compréhension des phénomènes culturels dont on nous abreuve à longueur de journée.

« Toute discussion sur la culture doit de quelques manières prendre comme point d’appui le phénomène de l’art. » Hannah Arendt 1-

Fulvio Caccia d’expliquer cette métaphore par le fait que si la culture constitue un environnement rendu propice par les soins de l’homme, l’art en est par analogie son « principe actif ».

Son mouvement et sa transformation qui changent tout en restant semblable.

Ce que Caccia défend et j’adhère à sa démarche est d’élaborer une politique authentique de la diversité qui « permettrait de dépasser cette inégalité... en réinscrivant la formation tout au long de la vie dans les politiques publiques de la culture».

Puisque ce que soulève la diversité culturelle, c’est la capacité de mettre en relation le pouvoir d’émancipation de l’art avec la société – chacun indépendamment de son origine. »

Nous pouvons compter sur un dictionnaire amoureux de la laïcité, dirigé par Henri Peña- Ruiz.

À quand un dictionnaire amoureux de la Diversité Culturelle dirigé par Fulvio Caccia?


La diversité culturelle Vers l’État-culture Fulvio Caccia Éditions Laborintus, 235 p

  

1 - Hannah Harendt, La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 2000.