Depuis 20 ans la diversité culturelle a été le cheval de bataille du gouvernement québécois pour s’affirmer autant sur la scène internationale que sur la scène intérieure dans sa relation avec Ottawa. À ce dernier, le multiculturalisme, et au Québec la diversité culturelle!
La preuve en est que les principaux spécialistes, reconnus internationalement, sont québécois dont Yvan Bernier, professeur émérite de l’Université Laval qui a rédigé avec l’ ancien ambassadeur de France à L’UNESCO, la Convention sur la promotion et la protection de la diversité des expressions culturelles culturelle de 2005.
Mais jusqu’ici on a abordé cette question sous l’angle de l’économie et des institutions internationales. Il manquait un ouvrage qui fasse le lien avec nos cultures en mutation « un ouvrage d’ensemble qui restitue la diversité culturelle dans le contexte des grands enjeux contemporains... comme le souligne, Jean Musitelli, conseiller d’État et co-auteur de la Convention, dans la préface du livre intitulé : « Diversité culturelle, vers un état culture » qu’a publié Fulvio Caccia aux éditions Laborintus.
Passé inaperçu à tort
Lorsqu’il est paru pourtant en 2018, cet ouvrage de synthèse et de réflexion est passé inaperçu. J’ai souhaité le mettre en lumière parce qu’il croise justement l’expérience de l’espace nord-américain et le temps long de la culture politique européenne.
Il revenait à un écrivain « allophone » québécois vivant désormais en France de le faire. Et qui plus est un écrivain à « la croisée des cultures », en mesure d’apprécier ce qui participe de l’un et ce qui revient à l’autre.
Fulvio Caccia, né à Florence, a vécu au Québec de nombreuses années où, il a cofondé la revue transculturelle Vice Versa, qui regroupait des écrivains, philosophes, poètes... de toutes origines selon une logique « éminemment vice-versienne ».
Fulvio Caccia a fini par s’installer par la suite à Paris où il a fondé l’Observatoire de la diversité culturelle et plus récemment une autre association LinguaFranca, un collectif d’écrivains, de chercheurs et de traducteurs qui défendent la littérature transnationale.
Qu’est-ce que la diversité culturelle?
Certains d’entre vous qui me lisez savent peut-être que j’ai exercé les fonctions de
« Conseillère spéciale à la diversité culturelle » à l’Assemblée nationale auprès du Parti Québécois.
Cet ouvrage ne pouvait donc me laisser indifférente. Je connaissais l’auteur qui fut dans les années 80, un des animateurs de la scène transculturelle montréalaise.
Mais plus encore son propos rejoignait mes propres questionnements :
Un état est-il nécessairement national?
Peut-on en faire l’économie en plaçant directement le curseur sur la culture? Mais qu’est-ce qu’une nation?
Qu’est-ce que la culture?
Un peuple?
Toutes ces interrogations on les retrouve en discussion dans cet ouvrage.
D’emblée avant de questionner d’où vient la culture? Fulvio Caccia pose la grande question du XXIe siècle : L’expression de la diversité culturelle peut-elle contribuer à redéfinir le vivre-ensemble ou, au contraire, est-elle le masque avenant de l’ultralibéralisme pour légitimer les inégalités qu’il génère? A-t-elle pour finalité cachée la liquidation de la civilisation, comme certains la redoutent, ou est-elle l’accomplissement de cette république universelle portée par les humanistes de la Renaissance et des Lumières?
L’exil et l’universalisme
À partir de ces interrogations essentielles, Caccia dresse un chemin qui mène non pas à des affirmations mais vers d’autres sujets qui questionnent toujours plus, greffés à celles touchées au départ.
Qu’est-ce qu’un exilé? Un nomade?
Un latin ?
Les arts libéraux?
La culture et sa transmission par l’éducation ?
Le rapport de l’humanité avec son environnement?
D’une page à l’autre, d’une référence à l’autre, Caccia nous plonge dans des redéfinitions contemporaines.
L’universalisme ou du moins la crise de l’universalité n’est pas épargnée. Écartelée « entre le procès d’intention et le refus de retrouver son sens originel ».
Pour toute réponse, celle d’Edgar Morin qui explique l’échec des politiques :
« Il est quasi impossible, quand on obéit à la pensée compartimentée et parcellaire, de voir la figure d’ensemble, c’est-à-dire civilisationnelle de problèmes que l’on conçoit disjoints et qu’au mieux on juxtapose en patchwork. »
N’est-ce pas ce qui se passe en ce moment même dans nos civilisations démocratiques au nom même de cette démocratie?
Le morcellement des communautarismes au nom du multiculturalisme.
Et si nous envisagions de prendre en considération un nouveau type de citoyenneté?
Une citoyenneté transculturelle pour la « désenclaver de son idéalisme ou de son cosmopolitisme supposé pour lui donner un réel ancrage politique. »
Les Bobo, idiots utiles?
Un nouveau type de citoyenneté est en train d’émerger.
Elle serait éloignée des bons sentiments de la bien-pensance, entretenue par un certain militantisme de gauche « politiquement correct » qu’on attribue parfois à tort à une frange de ces Bourgeois-Bohèmes qui préempte les quartiers populaires des centres- villes et pave la voie aux fondamentalismes.
Cette citoyenneté en devenir se fonde sur l’expérience du déplacement telle qu’elle a été vécue à travers l’exil et l’immigration.
Dès lors se pose pour l’exilé et l’immigrant et surtout ses descendants la question de l’allégeance : « un sujet plus que jamais sensible de nos jours. Le retour à un nationalisme de stricte obédience nie cette réalité et contribue à entretenir la fiction d’une culture-racine (comme dirait Glissant) fondée sur le mythe de sa propre pureté divine »
Ulysse, l’exilé
La figure de l’exilé et plus encore de l’errance qui mieux qu’Ulysse le personnifie L’Odyssée qu’il entreprend a des échos très contemporains sur notre propre quête d’identité. C’est à lui que demande :
- Qui es-tu? Lui demande le rhapsode des Phéaciens au terme de son odyssée.
- «Mon nom est personne, lui répond le vainqueur de la guerre de Troie ayant oublié les exploits qu’il avait accompli alors avant que le rhapsode ne lui rappelle.
C’est à ce moment seulement qu’il se souvient et qu’il prend pleinement conscience de qui il est. Dès lors il pourra retrouver le chemin de sa maison.
Cela a un air connu pour nous Québécois, comme notre devise : JE ME SOUVIENS !
C’est dans cette perspective que cet ouvrage est intéressant. Quiconque plonge dans cet essai en ressortira non seulement indemne mais avec une meilleure compréhension des phénomènes culturels dont on nous abreuve à longueur de journée.
« Toute discussion sur la culture doit de quelques manières prendre comme point d’appui le phénomène de l’art. » Hannah Arendt 1-
Fulvio Caccia d’expliquer cette métaphore par le fait que si la culture constitue un environnement rendu propice par les soins de l’homme, l’art en est par analogie son « principe actif ».
Son mouvement et sa transformation qui changent tout en restant semblable.
Ce que Caccia défend et j’adhère à sa démarche est d’élaborer une politique authentique de la diversité qui « permettrait de dépasser cette inégalité... en réinscrivant la formation tout au long de la vie dans les politiques publiques de la culture».
Puisque ce que soulève la diversité culturelle, c’est la capacité de mettre en relation le pouvoir d’émancipation de l’art avec la société – chacun indépendamment de son origine. »
Nous pouvons compter sur un dictionnaire amoureux de la laïcité, dirigé par Henri Peña- Ruiz.
À quand un dictionnaire amoureux de la Diversité Culturelle dirigé par Fulvio Caccia?
La diversité culturelle Vers l’État-culture Fulvio Caccia Éditions Laborintus, 235 p
1 - Hannah Harendt, La Crise de la culture, Paris, Gallimard, 2000.