Ce matin, en me levant, je trouvais
trois ou quatre messages privés sur mon fil twitter. L’un d’entre eux, celui de
J’ai repensé à ce qu’une de mes
abonnées twitter a raconté il y a quelques semaines, à propos de la Fête du
mouton, L’Aid el Kebir. Elle demandait qu’on ne lui enlève pas « son arbre
de Noel après ça » : son petit fils, de famille québécoise/catholique
ou laïque, c’est selon, est revenu de l’école, les mains peintes en rouge pour
symboliser le sang, la soumission d’Abraham et par extension la soumission de
tout croyant à dieu.
Jamais au grand jamais cette coutume de
peindre les mains des enfants pour symboliser le sang ne fait partie de quelque
coutume que ce soit au Maroc, mon pays d'origine, et après recherche, dans aucun pays
arabe. Les Québécois sont si tolérants que certains en profitent pour s’inventer
une coutume et la mettre en pratique.
Si j’avais été cette Québécoise, j’aurai
retiré mes enfants de l’école. Pas parce que je suis contre les religions mais parce
que je suis contre les symboles religieux qui suscitent quelque violence que ce
soit. Le sang ou la représentation du sang sur les mains en est une.
Cette journée-là, je passais pour une
intolérante sur twitter.
Cette journée-là, j’étais invitée
chez mes amis musulmans pour manger un couscous, justement pour souligner cette
fête, qu’il faut partager avec la famille, les voisins, les amis et les
pauvres. Aucun des musulmans - marocains, algériens et libanais présents, n’avait
entendu parler de cette coutume "barbare", ce sont leurs propres mots, dans leur
pays.
Ils étaient révoltés par cette
nouvelle coutume improvisée et par la tolérance aveuglée des Québécois.
Je ne mange pas de mouton. Aussi, je
n’ai pas pu honorer la bête cette journée-là.
Je préfère mieux encore le coq à l’âne.
Je n’ai rien contre l’enseignement de
l’histoire des religions. Au contraire, lorsque jeune enseignante, je me proposais
de remplacer le cours de morale, dont j’avais hérité, par l’histoire des religions,
la direction de l’école avait refusé et n’était pas prête à recevoir cette
suggestion.
Je tenais, en 1996, une chronique à
Radio Canada : les Humanités sur Internet (Humanité/virtualité). Je pense
avoir parlé de la Fête du mouton. Jamais je n’avais entendu parler de la
représentation du sacrifice et du sang sur les mains des enfants.
Je reviens sur cette chronique de
Foglia dans la Presse d’aujourd’hui, qui m’incite à vous raconter ce qui m’est
arrivé il y a deux ans.
Court préambule : je l’ai dit et
répété, je suis immigrante arrivée enfant ou tout juste avant l’adolescence au
Québec. Lorsque j’avais 14 ans, je ne devrais pas le dire parce que je n’avais
pas l’âge légal, j’ai travaillé les samedis, les dimanches et les étés dans un
salon de coiffure à Westmount, et ce, jusqu’à l’âge de 18 ans. Et oui, tout
comme Fabrice Luchini.
Il faut croire que l’esprit le
moindrement littéraire et philosophique aime ce vagabondage dans les méandres
du chevelu naturel et de l’incursion dans les têtes.
Comme tout immigrant, mon père était ravi.
Sa fille se dirigeait vers un métier qui lui permettra de survivre
financièrement. J’ai bien dû le décevoir lorsque j’allais à l’université pour y
étudier d’abord en science politique puis la littérature et la psycho-pédagogie. J’étais
piquée et j’avais cette soif de partager l’amour de la littérature, des mots, de
la grammaire et de l’orthographe.
Et voilà. J’y suis. Je me suis délectée
en lisant le texte dans la Presse ce matin. Je me suis posée la question :
comment un étranger? Ce monsieur François Marcotte a compris que M. Foglia était
mon allié?
Il ne connait pas cette histoire.
Lorsqu’il la lira, il saura qu’il a frappé dans le mille à plusieurs égards.
Ce qui a suscité ce texte-ci, c’est
cette phrase :
« Les nouveaux profs? Zéro en littérature, zéro en philo, zéro
en histoire, mais 100% en pédagogie. Du savoir-faire en masse, peu de savoir
tout court. »
Au sortir de l’université et, avant de plonger dans
le journalisme parce que c’était le métier que je voulais exercer, depuis enfant, imbibée des livres du Club
des Cinq, j’ai fait ce que toute immigrante se doit de faire, s’assurer d’un
métier vers lequel elle pourra toujours revenir si les temps sont durs.
J’ai donc passé 5 ans à enseigner à l’école
secondaire protestante mais d’abord catholique. On m’y avait acceptée, puisque
je portais le nom de famille de mon mari québécois/catholique de naissance et de souche, non
sans me faire faire la remarque, de ne pas dévoiler mon identité juive et d’être
discrète à ce propos.
Ces 5 années d’enseignement à temps
plein me permettaient d’obtenir un brevet et un permis d’enseigner à vie et même d’ouvrir
une école québécoise, m’avait-on assuré, pendant l'un des cours de psychopédagogie.
J’y ai enseigné le français, l’expression
dramatique, et croyez-le ou non, la biologie – que j’étudiais la veille et la
dactylo - je ne savais pas taper avec la méthode à l’époque, personne ne s’en
est rendu compte. "Quand on est une bonne pédagogue", m’avait dit le directeur et, "c’est ton cas, on peut enseigner à peu près n’importe quelle matière..."
Or, voilà qu’il y a deux ans, je
repensais à mon premier métier, pas celui de coloriste mais celui d’enseignante
au secondaire et, je me disais que ce ne serait pas une mauvaise décision que d’y
retourner avec, comme bagage, une vie professionnelle bien remplie.
Redonner aux jeunes le goût d’apprendre.
J’ai bien sûr initié le projet Fusion
Jeunesse
mais ce n’était pas suffisant. Je voulais retourner dans une école après avoir passé 13 ans comme cadre et chargée de cours en études françaises à l’université Concordia. Et après avoir été comblée par les différents postes que j’ai occupés. Je n’avais plus rien à me prouver.
mais ce n’était pas suffisant. Je voulais retourner dans une école après avoir passé 13 ans comme cadre et chargée de cours en études françaises à l’université Concordia. Et après avoir été comblée par les différents postes que j’ai occupés. Je n’avais plus rien à me prouver.
Je postulais donc comme enseignante
dans une école de Montréal.
J’ai aussi pris la peine de me
renseigner auprès de la commission scolaire. Et, quelle ne fut pas ma surprise
d’entendre la dame me répondre au téléphone que je devais passer un Examen
de français obligatoire maintenant.
J’acquiesce, bien entendu, puisque c’est
obligatoire. Maintenant. Elle m’informe que l’examen se passe tous les deux ou
trois mois, si je me souviens bien, et qu’il y avait bien un examen prévu le
lendemain mais que, comme je n’avais pas étudié les livres, je ne devrais pas
essayer de le passer.
Je la contredis en lui mentionnant
que j’étais journaliste, que j’avais été chargée de cours, pas plus tard que l’année
précédente à l’université Concordia, en études françaises et, que je ne croyais
pas avoir besoin d’étudier la grammaire et l’orthographe. Que j’avais passé, à
l’âge de vingt ans, un an ou deux avec le Bon Usage comme livre de chevet et je
devrais pouvoir m’en sortir.
Arrivée à l’examen, quelle ne fut pas mon autre surprise de voir des jeunes plongés dans un cahier d’exercice, oui, un
cahier d’exercice et non les yeux rivés sur leur téléphone intelligent ou
isolés derrière leur fil blanc.
Je me risquais, par-dessus l’épaule,
un coup d’œil sur les pages de mon voisin. La phrase faisait référence à « quatre
vingt » (sans s et sans trait d’union) ou « quatre-vingts »
(avec un s et un trait d’union). Je souriais.
Ce que je ne savais pas, c’est qu’il
suffisait d’apprendre par cœur le cahier pour satisfaire aux exigences de l’examen.
Ce que je ne savais pas non plus c’est
qu’il fallait écrire avec un stylo. J’avais de la difficulté non seulement à
tenir un stylo, trop de machine à écrire et d’ordinateurs et, comble de
malheur, je ne suis pas de la génération des correcteurs instantanés qui m’ont
fait perdre un temps fou tant je les déroulais sans savoir comment m’en servir.
Je passais donc l’examen avec une
note honorable qui me permettait de rappeler la dame en question pour lui
demander si tout était okay et si j’avais une chance de pouvoir réintégrer un
poste d’enseignante.
Là. Je vous le donne en mille. La
dame me répond : c’est vrai que vous avez eu un bon résultat compte tenu
du fait que vous n’avez pas étudié. Aussitôt ces paroles prononcées, je me
proposais d’étudier les livres en question, pour reprendre l’examen et
améliorer mon résultat, si nécessaire, lorsque la dame m’affirme que, mon 2e
diplôme obtenu en 1980, n’était plus valable et qu’il me fallait retourner
étudier une année de pédagogie à l’université car les méthodes avaient changé.
Je tenais l’appareil téléphonique
dans les mains. Sidérée. Il me semblait qu’un certificat en psychopédagogie, obtenu
en sus d’un baccalauréat en littérature plus la validation d’un permis/brevet d’enseignement,
étaient suffisants. Et que le fait d’avoir enseigné à l’université un an
auparavant était garant d’une approche pédagogique sérieuse et significative. Et
bien. Non.
Cette journée-là, dans les journaux
du matin, je me souviens avoir lu qu’il y aurait, au Québec, un assouplissement
de la reconnaissance des diplômes des étrangers.
Mais là. Nous étions dans un autre
monde. Les diplômes obtenus au Québec, eux, n’étaient pas reconnus et avaient
une date de péremption.
J’ai été plusieurs heures à tourner
et retourner cette expérience dans ma tête. Pour comprendre où était l’erreur.
Certains chercheurs universitaires obtiennent des postes de professeurs alors
qu’ils font d’importantes recherches mais sont de piètres pédagogues. Jamais il
ne leur est demandé de se mettre au diapason. À jour.
Je connais des professeurs
universitaires qui n’ont pas encore fait le saut dans le merveilleux monde de l’informatique
ni ne connaissent les médias sociaux ni même les i-cloudés de ce monde.
Je me dois de donner raison à la dame
qui m’a parlé au téléphone. Je ne suis pas de la bonne génération des nouveaux
enseignants. Je ne sais pas utiliser les correcteurs instantanés que je fais
dérouler sans savoir ni comment cibler et les arrêter pour blanchir et effacer
les erreurs.
Pour clore ce partage d’expérience.
Hier, je me trouvais au Complexe Guy Favreau. Je cherchais l’ascenseur, lorsque
j’entends l’homme de maintenance, diriger avec un accent espagnol, un homme qui
cherchait les toilettes. Il indique la bonne direction à l’homme qui ne l’a pas
même remercié. Et à l’homme de maintenance de dire avec un sourire
attristé: « De rien Monsieur. Bonne fin de journée. »
Parfois, je m’arrête pour discuter
avec ces personnes qui agissent avec civisme pour connaître leur histoire et
surtout pour savoir quel diplômé se cache derrière l’immigrant. Je ne l’ai pas
fait. J’aurais été peinée de le savoir.
Voilà. J’ai voulu raconter cette histoire qui
m’est revenue en lisant la chronique de Foglia ce matin, histoire de nous
sortir du climat de désespérance mondiale pour entrer dans la désespérance
locale.
Dixit Foglia : … dans
le sens du poing sur la table: ça va faire, les niaiseries!
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