L’écrivain public - Saison 3
Souvenir
Mon grand-père maternel exerçait ce plus vieux métier du monde au
Maroc à Casablanca, Écrivain public. Mon plus vieux souvenir, car il a été lié au
métier que j’ai exercé plus tard, était celui d’un homme corpulent, installé
derrière une grande machine à écrire déposée sur un pupitre d’écolier, entouré
de dictionnaires dont les couvertures annonçaient les couleurs des drapeaux de
certains pays. Mon grand-père était un érudit. Un cabaliste m’ont confirmé
certains. Il écrivait le français, l’arabe, l’hébreu (en arabe), l’allemand,
l’espagnol, le portugais… Les gens du quartier savaient où le trouver au coin
de la rue Jean-Jacques Rousseau et de la rue Lacépède dans le quartier de la Place
Verdun à Casablanca. Je revoyais une dizaine de personnes debout devant lui,
faisant la file, une enveloppe à la main ou encore retenant un enfant par la
main. Mon grand-père, Baba Salomon, écrivait des lettres, des réponses aux
courriers administratifs, remplissait des formulaires d’extraits de naissance,
des documents légaux, des plaintes, etc. Il écrivait même des lettres d’amour!
C’était mon premier contact avec cet objet si précieux : la
machine à écrire. Je la cherchais partout dans la maison de mes grands-parents,
pour simuler les gestes d’écriture de mon grand-père. Et plus je vieillissais,
plus il cachait sa machine en hauteur toujours plus haut pour ne pas que je
m’amuse à finalement coincer les lettres à force de taper si vite pour l’imiter.
L’écrivain
Or, lorsque Michel
Duchesne m’a parlé du métier qu’il a exercé, de son livre et de la série l’Écrivain
public, ce sont ces souvenirs heureux qui me sont remontés à la surface.
Chacun le sait ou l’a vécu ! Lorsque nous craignons le pire, nous
prenons la fuite. C’est ce que j’ai fait le 2 octobre 2018, lorsque le résultat
des élections provinciales était tombé en même temps que des collègues dédiés,
impliqués dans leur milieu au-delà du possible.
L’un d’entre eux était Michel Duchesne que je venais de
connaître au début de la campagne électorale. Un être généreux, un écrivain
fabuleux qui réussit le tour de force de décrire dans ses romans des ambiances
réelles, des personnages vrais; un dialoguiste comme il en existe peu en ce
temps de l’utilisation du langage télégraphique virtuel.
Connaissant mon amour pour la Costa Del Sol – Andalousie, Michel
Duchesne m’avait offert spontanément son dernier livre La Costa
des Seuls. J’en ai étiré la lecture pour ne pas laisser partir les
personnages et les voir se retirer trop vite de ma vie.
J’aurais voulu continuer d’accompagner la leur. C’est cette atmosphère
que j’ai retrouvée avec l’Écrivain public.
J’avais perdu ce goût du Québec que je ne reconnaissais plus. Vendredi
soir, sur la scène du Quartier latin - Odéon, pendant la présentation du
film/épisodes de l’Écrivain public, je retrouvais ce goût. Enfin! Après un an
et demi de départs, de retours ratés et d’exils.
La websérie
Je retrouvais ce goût dans le milieu communautaire de la cuisine
collective d’Hochelaga-Maisonneuve où se déroule la saison 3 de l’Écrivain public.
« Il y a des mots qui dérangent et il y en a d’autres qui
sauvent aussi. Puis, s’ils peuvent sauver, on s’en fout qu’ils
dérangent. »
Cette phrase coup de poing énoncée par la comédienne d’origine
haïtienne Marité
Mireille Metellus nous rappelle que déranger veut aussi dire toucher
les maux et les guérir.
L’écrivain
public, Saison 3, présenté vendredi 6 mars 2020 aux Rendez-Vous Québec Cinéma fait
partie de ces films qui dérangent. C’est un film mis en abyme, le film dans le
film, le livre dans le livre ouvert vers un labyrinthe dans lequel on pénètre
sans connaître le chemin vers la sortie ou alors qui mène vers l’entrée d’un
univers méconnu, celui de la pauvreté que l’on cache.
L’enchâssement de l’histoire nécessaire, celle d’un écrivain
public qui s’investit tant dans son travail au secours des analphabètes, qui le
consultent, qu’il en devient le confident, l’ami, le sauveur, celui qui touche
tant de monde que finalement, son métier n’en est plus un mais devient une
orientation et une manière de vivre.
Note dissonante
Toutefois, une note dissonante dans la saison 3 : une femme
voilée pour représenter les Musulmanes. Les femmes musulmanes du Québec et
d’ailleurs dans le monde se battent contre cette
fausse représentation.
Les personnages
On s’attache aux personnages plus vrais que nature :
« Ce sont des personnages à fleur de peau et on est dirigé sans artifice, le plus près possible de nous-mêmes. Des fois, on met le texte dans nos mots, les scènes sont improvisées, ne sont jamais fermées et dans lesquelles on peut mettre du nôtre. L’exigence, c’est d’être vrais! Juste d’être comme du monde ordinaire. Tu ne peux pas jouer quand tu es avec du monde ordinaire parce que tu décales tout de suite. Il faut être le plus possible proche en disant les mots qui sont proches de soi et en général tu ne peux pas te tromper. »
Ces mots sont ceux de l’attachante Mina incarnée à l’écran par la
non moins attachante comédienne Louise Bombardier.
Et dans ce film/série, il n’y a aucun décalage.
Chacun des comédiens que l’on voit apparaître puis disparaître de l’écran mériterait une reconnaissance nationale et internationale. Et chacun d’eux représente une problématique : le communautaire, la déficience mentale – Jojo incarnée par Sandrine Bisson. Prodigieuse et grandiose! la prostitution et le crack - Annie, Élisabeth Locas – impressionnante ! Steeve, Julien Deschamps Jolin, son « pimp » épeurant ! l’éducation, l’adoption, la drogue, la mère monoparentale, le père monoparental, les ados, l’aide médicale à mourir, la solitude, les centres pour femmes violentées, etc.
Et chaque moment vient nous rappeler le manque de ressources dans
ces domaines.
Une écriture et une réalisation magistrales!
Le ton et les mots sont si justes (Michel Duchesne et Éric
Piccoli), la caméra si intime (Philippe St-Gelais, Suzel
D. Smith), la musique omniprésente et discrète (Joseph Marchand) le
montage (Justin Richard-Dostie) si fluide
que notre rôle de téléspectateur en devient un de participant à cette
communauté au point où l’on a presque envie de les interpeler et de faire partie
de leur vie, aussi difficile soit-elle! Parce
qu’ils sont imbibés de tendresse et de douceur!
Et on reprend les saisons manquées de l’Écrivain public juste pour
rester encore, un peu plus longtemps, en présence de ces généreux personnages.
C’est ça une famille! affirme Luc Senay qui représentait le boss du Centre, venu à la rescousse de son ex-directrice bourrée de talent, brillante – dont la vie a basculé, une femme victime de violence conjugale par… une autre femme!
Et c’est à cette vraie famille qu’on a envie d’appartenir! Malgré…
Et c’est à cette vraie famille qu’on a envie d’appartenir! Malgré…
Bande annonce :
Notes sur l'analphabétisme:
Selon l’observatoire des inégalités en 2014 : l’analphabétisation
dans le monde : 800 millions d’adultes sont analphabètes dans le monde,
soit 16 % de la population mondiale. 410 millions vivent en Asie et 190
millions en Afrique subsaharienne.
Au Québec, selon la Fondation pour l’Alphabétisation : Au Québec, une personne sur cinq, soit 19 % de la population, est
susceptible de se retrouver dans une situation où elle éprouvera de grandes ou
de très grandes difficultés à lire et à utiliser l’écrit.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire