lundi 9 mars 2020

Il y a trop de monde qui ont besoin de mots!


L’écrivain public - Saison 3  

Souvenir

Mon grand-père maternel exerçait ce plus vieux métier du monde au Maroc à Casablanca, Écrivain public. Mon plus vieux souvenir, car il a été lié au métier que j’ai exercé plus tard, était celui d’un homme corpulent, installé derrière une grande machine à écrire déposée sur un pupitre d’écolier, entouré de dictionnaires dont les couvertures annonçaient les couleurs des drapeaux de certains pays. Mon grand-père était un érudit. Un cabaliste m’ont confirmé certains. Il écrivait le français, l’arabe, l’hébreu (en arabe), l’allemand, l’espagnol, le portugais… Les gens du quartier savaient où le trouver au coin de la rue Jean-Jacques Rousseau et de la rue Lacépède dans le quartier de la Place Verdun à Casablanca. Je revoyais une dizaine de personnes debout devant lui, faisant la file, une enveloppe à la main ou encore retenant un enfant par la main. Mon grand-père, Baba Salomon, écrivait des lettres, des réponses aux courriers administratifs, remplissait des formulaires d’extraits de naissance, des documents légaux, des plaintes, etc. Il écrivait même des lettres d’amour!

C’était mon premier contact avec cet objet si précieux : la machine à écrire. Je la cherchais partout dans la maison de mes grands-parents, pour simuler les gestes d’écriture de mon grand-père. Et plus je vieillissais, plus il cachait sa machine en hauteur toujours plus haut pour ne pas que je m’amuse à finalement coincer les lettres à force de taper si vite pour l’imiter.

L’écrivain

Or, lorsque Michel Duchesne m’a parlé du métier qu’il a exercé, de son livre et de la série l’Écrivain public, ce sont ces souvenirs heureux qui me sont remontés à la surface.

Chacun le sait ou l’a vécu ! Lorsque nous craignons le pire, nous prenons la fuite. C’est ce que j’ai fait le 2 octobre 2018, lorsque le résultat des élections provinciales était tombé en même temps que des collègues dédiés, impliqués dans leur milieu au-delà du possible.

L’un d’entre eux était Michel Duchesne que je venais de connaître au début de la campagne électorale. Un être généreux, un écrivain fabuleux qui réussit le tour de force de décrire dans ses romans des ambiances réelles, des personnages vrais; un dialoguiste comme il en existe peu en ce temps de l’utilisation du langage télégraphique virtuel.
 Un écrivain, témoin des problématiques, vécus dans notre société où les plus démunis se retrouvent trop souvent sans voix.

Connaissant mon amour pour la Costa Del Sol – Andalousie, Michel Duchesne m’avait offert spontanément son dernier livre La Costa des Seuls. J’en ai étiré la lecture pour ne pas laisser partir les personnages et les voir se retirer trop vite de ma vie.
J’aurais voulu continuer d’accompagner la leur. C’est cette atmosphère que j’ai retrouvée avec l’Écrivain public.

J’avais perdu ce goût du Québec que je ne reconnaissais plus. Vendredi soir, sur la scène du Quartier latin - Odéon, pendant la présentation du film/épisodes de l’Écrivain public, je retrouvais ce goût. Enfin! Après un an et demi de départs, de retours ratés et d’exils.

La websérie

Je retrouvais ce goût dans le milieu communautaire de la cuisine collective d’Hochelaga-Maisonneuve où se déroule la saison 3 de l’Écrivain public.  

« Il y a des mots qui dérangent et il y en a d’autres qui sauvent aussi. Puis, s’ils peuvent sauver, on s’en fout qu’ils dérangent. »

Cette phrase coup de poing énoncée par la comédienne d’origine haïtienne Marité Mireille Metellus nous rappelle que déranger veut aussi dire toucher les maux et les guérir.  

L’écrivain public, Saison 3, présenté vendredi 6 mars 2020 aux Rendez-Vous Québec Cinéma fait partie de ces films qui dérangent. C’est un film mis en abyme, le film dans le film, le livre dans le livre ouvert vers un labyrinthe dans lequel on pénètre sans connaître le chemin vers la sortie ou alors qui mène vers l’entrée d’un univers méconnu, celui de la pauvreté que l’on cache.

L’enchâssement de l’histoire nécessaire, celle d’un écrivain public qui s’investit tant dans son travail au secours des analphabètes, qui le consultent, qu’il en devient le confident, l’ami, le sauveur, celui qui touche tant de monde que finalement, son métier n’en est plus un mais devient une orientation et une manière de vivre.



Il y a cette mise en abyme du film mais une autre pour le comédien, personnage central du film, Emmanuel Schwartz, qui affirmait, lors d’une entrevue prémonitoire accordée en 2017 à Matthieu Lévesque de l'Agence QMI et reprise par TVA – Nouvelles, que pour lui, « l’écriture est une curiosité. Ça fait changement de la rigueur très exigeante que demande le théâtre. L’écriture me permet de faire une plongée à l’intérieur de moi-même. Dans mes écrits, je questionne plusieurs choses, comme mon métier, le désir d’être connu ou moi-même. Ça frôle parfois l’égocentrisme, mais l’écriture me permet cette réflexion. »

Note dissonante 

Toutefois, une note dissonante dans la saison 3 : une femme voilée pour représenter les Musulmanes. Les femmes musulmanes du Québec et d’ailleurs dans le monde se battent contre cette fausse représentation.

Les personnages

On s’attache aux personnages plus vrais que nature :

« Ce sont des personnages à fleur de peau et on est dirigé sans artifice, le plus près possible de nous-mêmes. Des fois, on met le texte dans nos mots, les scènes sont improvisées, ne sont jamais fermées et dans lesquelles on peut mettre du nôtre. L’exigence, c’est d’être vrais! Juste d’être comme du monde ordinaire. Tu ne peux pas jouer quand tu es avec du monde ordinaire parce que tu décales tout de suite. Il faut être le plus possible proche en disant les mots qui sont proches de soi et en général tu ne peux pas te tromper. »

Ces mots sont ceux de l’attachante Mina incarnée à l’écran par la non moins attachante comédienne Louise Bombardier.

Et dans ce film/série, il n’y a aucun décalage.


Chacun des comédiens que l’on voit apparaître puis disparaître de l’écran mériterait une reconnaissance nationale et internationale. Et chacun d’eux représente une problématique : le communautaire, la déficience mentale – Jojo incarnée par Sandrine Bisson. Prodigieuse et grandiose! la prostitution et le crack - Annie, Élisabeth Locas – impressionnante ! Steeve, Julien Deschamps Jolin, son « pimp » épeurant ! l’éducation, l’adoption, la drogue, la mère monoparentale, le père monoparental, les ados, l’aide médicale à mourir, la solitude, les centres pour femmes violentées, etc.

Et chaque moment vient nous rappeler le manque de ressources dans ces domaines.

Une écriture et une réalisation magistrales!
Le ton et les mots sont si justes (Michel Duchesne et Éric Piccoli), la caméra si intime (Philippe St-Gelais, Suzel D. Smith), la musique omniprésente et discrète (Joseph Marchand) le montage (Justin Richard-Dostie) si fluide que notre rôle de téléspectateur en devient un de participant à cette communauté au point où l’on a presque envie de les interpeler et de faire partie de leur vie, aussi difficile soit-elle!  Parce qu’ils sont imbibés de tendresse et de douceur!

Et on reprend les saisons manquées de l’Écrivain public juste pour rester encore, un peu plus longtemps, en présence de ces généreux personnages. 

C’est ça une famille! affirme Luc Senay qui représentait le boss du Centre, venu à la rescousse de son ex-directrice bourrée de talent, brillante – dont la vie a basculé, une femme victime de violence conjugale par… une autre femme!



Et c’est à cette vraie famille qu’on a envie d’appartenir! Malgré…







Bande annonce :





Notes sur l'analphabétisme:

 Ajout encadré de bas de texte :
Selon l’observatoire des inégalités en 2014 : l’analphabétisation dans le monde : 800 millions d’adultes sont analphabètes dans le monde, soit 16 % de la population mondiale. 410 millions vivent en Asie et 190 millions en Afrique subsaharienne.

Au Québec, selon la Fondation pour l’Alphabétisation : Au Québec, une personne sur cinq, soit 19 % de la population, est susceptible de se retrouver dans une situation où elle éprouvera de grandes ou de très grandes difficultés à lire et à utiliser l’écrit. 






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