mardi 8 juin 2021

Tendance Complot


Alors que Vincent’s Guzzo, entrepreneur des cinémas du même nom, a décidé de présenter le film Hold up, que plusieurs ont été choqués sur les réseaux sociaux pour la visibilité qui sera donné à un film « complotiste », que Stefan Bureau interview le Dr Didier Raoult, qualifié d’invité radioactif, sur les ondes de Radio Canada, au grand déplaisir d’autres animateurs qui en questionnent le but, deux lectures me reviennent à l’esprit tant leur contenu est plus que jamais d’actualité : le livre de Claude André, auteur, Quand la clique nous manipule, préfacé par le regretté Bernard Landry, premier ministre du Québec, sorti en septembre 2018. 
Et plus récemment lu, La Tyrannie de la Visibilité, un nouveau culte démocratique, de Philippe Guibert, essayiste français.
 
Les deux dressent un état ou plutôt une cartographie des lieux, l’un partant du Québec et l’autre de la France, pour décrire notre monde actuel et virtuel.
 
Trump le provocateur
Deux livres qui recadrent et replacent les pendules à l’heure sur l’identité de la clique qui manipule et sur la tyrannie de la visibilité par l’utilisation de l’objet dorénavant plus qu’essentiel, la « prothèse privilégiée », le cellulaire ou téléphone intelligent, smart phone pour les Français, tel que défini par l’essayiste français.
 
Les deux livres se penchent sur le cas de Trump, l’un pour décrire le côté provocateur et insolent de Potus45 et l’autre pour analyser la campagne électorale américaine de 2016 sous l’angle du conspirationnisme et du complotisme. Mot de l’heure qui a pris un sens plus soutenu depuis le début de la pandémie en 2020.
 
Retour dans le temps. Le livre de Philippe Guibert est paru fin janvier 2020, alors que nous commencions à peine à nager en pleine tyrannie sanitaire, figés par la peur et par les accusations de complotisme qui naîtront très vite envers quiconque critique les décisions prises par les divers gouvernements.
 
D’abord les formules chocs
L’auteur a des formules chocs, j’aurais pu en répertorier une centaine, toutes plus réalistes les unes que les autres, pour exprimer la décadence provoquée par la tyrannie des médias sociaux sous entendant la visibilité nécessaire des utilisateurs pour mieux se sentir exister.
 
« Je souffre » ou « j’aime » sont des expressions que nul autre que moi ne peut contester ou accréditer… « c’est lui qui m’a agressée » attestation que l’enquête judiciaire aura la tâche d’établir. »
 
Le monde à l’envers. D’abord on accuse publiquement et ensuite on passe à l’enquête. De toutes les manières, le dommage est fait et c’était le but. Non?
 
Voilà pour les dénonciations personnelles.
 
Ajoutons à ces « visibilités nécessaires », sous forme de selfies et autres, le concept des petites poucettes chères à Michel Serres, que Philippe Guibert caractérise par « une forte visibilité sans notoriété préalable », c’est-à-dire celui « qui acquiert une foule d’abonnés, signe d’une réalisation de soi. »
 
Les trois rites du culte de la visibilité
Selon l’auteur, trois rites du culte de la visibilité se résument ainsi : « Le récit de ce qui nous arrive en tant que collectif… le récit de ce qui pourrait m’arriver en tant que personne… enfin, ce qui m’arrive effectivement, ma vie, mon identité narrative… que nous irons jusqu’à montrer, par les « post » ou « story » sur nos réseaux sociaux. »
 
Philippe Guibert décrit un monde virtuel messianique : « Au Commencement sera l’Alerte : dis-moi quelles sont tes applis, alertes et notifications et je te dirais qui tu es et les infos dont tu as besoin… être alerté, c’est entrer dans le cercle de ceux qui savent. ».
 
Sur les pouvoirs actuels de l’invisibilité de la visibilité dans la course aux likes où Narcisse n’en finit plus de se mirer, chacun se raconte à coup d’algorithmes et autres considérations virtuelles provocatrices et polarisantes de notre siècle.
 
La toute puissance des réseaux sociaux comme relais « tout le monde doit savoir, puisque nous devons tous être égaux devant l’information. »
 
Rien n’est plus d’actualité que ces chapitres consacrés au complotisme » pour lancer ces « fake visibles », « complotisme chic », qui répond donc au « complotisme trash ».
 
Il questionne : « le complotisme ne serait-il pas d’abord cette réaction trop humaine devant tout événement qui déroute les habitudes de pensée, les croyances les plus profondes et plus encore les plans prévus. »
 
Il y a quelques jours sur facebook, après la dérive et les propos indignes du candidat à la présidentielle en France, prédisant comme il y a quatre ans, un « grave incident, ou un meurtre dans la dernière semaine de la campagne présidentielle 2022 », l’essayiste français a écrit en riposte que « le dernier degré dans la déchéance, complotiste et clientéliste, pour ne pas dire communautariste, de Jean-Luc Mélenchon, a été atteint aujourd’hui. »
 
Clientélisme est le mot-clé en France comme au Québec où la clientèle visée est celle antisémite, n’ayons pas peur des mots, depuis qu’une motion de définition de l'antisémitisme proposée par la Coalition Avenir Québec (CAQ) a été refusée par le parti politique Québec solidaire.
 

Claude André, à propos de la clique, mentionne qu’« on ne pourrait analyser sérieusement une stratégie de marketing politique sans se référer à la notion de cadrage qui est fortement utilisée, chez les populistes de droite comme de gauche… ces cadres indiquent aux citoyens la façon dont ils doivent jauger des événements… en concurrence dans le débat politique quotidien. »
 

L’arrogance contrariée selon Philippe Guibert
Un chapitre consacré à la géopolitique décrit notre rapport au monde par le biais de l’information et de l’image-son diffusés, Guibert avance que « nous sommes myopes en géopolitique : le lointain est flou, et l’invisible au prime abord y est décisif ».
 
« Exit la conscience, de soi ou du monde, nous entrons dans la story personnelle et la Série collective par nos petits écrans. »
 
Pour sa part, mobilisant des auteurs bien connus, dont la sociologie bourdieusienne et le spécialiste de la propagande, Jacques Ellul, Claude André pointe l’approche d’un Chomsky qui affirme, en substance, que « les médias se livrent à une propagande qui sert les intérêts des puissantes firmes qui les contrôlent en les finançant et dont les représentants sont bien placés pour orienter l’information. »
Pour l’enseignant au collégial, la logique calculatoire du marketing électoral transcende désormais la vertu. Ainsi, le populisme et ses adeptes usent des ressorts du complotisme et cela autant à droite qu’à gauche du spectre politique.
 
La vérité sur la démocratie, est-elle gagnante? Non, conclut Philippe Guibert, pas même les droits de l’homme.
 
Une résistance, encore aux premiers balbutiements, s’est établie contre la pensée unique de la bien-pensance qui ne peut pas gagner dans ce monde, de plus en plus dénué de sens critique que certains voudraient tristement voir aseptisé.
 
Deux livres percutants pour mieux définir les enjeux manipulatoires et mieux nous orienter dans les méandres tyranniques de l’espace virtuel.
 
Guibert Philippe, La Tyrannie de la Visibilité, un nouveau culte démocratique, VA éditions, Collection Influence et Conflits, Janvier 2020, Paris, 140 pages.
 
André Claude, Quand la Clique nous manipule, du Printemps érable à Donald Trump, éditions Dialogue Nord-Sud, Septembre 2018, Montréal, 250 pages. 

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