Le BLUE STAR *
Cette semaine, avec
mes amis, amies, famille, collègues, nous avons parlé du sujet de l’heure :
les futures élections. Tout un chacun avait une opinion bien arrêtée. Certains
vont voter stratégiquement, d’autres pour leurs convictions profondes, tandis
que d’autres attendent le début de la campagne pour évaluer ce qui sera proposé
par les partis avant de se prononcer.
J’ai décidé de m’amuser
à dresser une série de portraits d’hommes et de femmes de mon entourage choisis
au hasard de mes rencontres, un portrait de ces citoyens que l’on entend moins
parce qu’ils ou elles ne sont pas des personnalités connues. Parler de ces observateurs non participants
aux débats publics ni aux réseaux sociaux. La suite...
Je voulais donc
commencer par un jeune de 33 ans, directeur de systèmes informatiques, pour ses
opinions bien spéciales, ou par cet ancien felquiste, quand j’ai lu en me
levant ce tweet envoyé par Pierre Duchesne sur Twitter: « J’espère que
vous serez nombreux à parler à vos amis et membres de la parenté pour leur dire
que cette élection est importante. »
Immédiatement, j’ai
pensé à mon père immigrant et libéral. Il n’y a pas plus libéral que ce dernier.
Lui demander de réfléchir à son futur vote et essayer de le convaincre de
donner son vote à un parti souverainiste, c’est comme lui affirmer qu’il sera
expulsé si le Québec devenait indépendant.
Mon père a 84
ans. Il est arrivé, en 1964, sous un gouvernement libéral au Québec, celui
dirigé par Jean Lesage, et un gouvernement libéral au Canada : celui de
Lester B. Pearson.
Lorsqu’il était
enfant, mon père était fou de la musique de Benny Goodman et de Woody Herman. Il rêvait l’Amérique alors qu’il voyait déambuler
dans les rues de Casablanca, les jeunes soldats de l’armée américaine.
Au Maroc où il
est né, mon père jouait du saxophone ténor, de la clarinette et de la « guitare
électrique solo » et pour boucler ses fins de mois, il travaillait comme
comptable dans une compagnie américaine. Car il parlait l’anglais. Pas parce qu’il
a fait des études.
Il a quitté l’école
à la fin de son cours élémentaire et n’a jamais pu continuer à étudier pour la
simple et unique raison que ses parents n’avaient pas les moyens de lui acheter
les livres dont il avait besoin. Il
était le 12e enfant.
Sa mère qui
parlait l’Arable classique (littéraire, dit-il, car elle était née à Jérusalem), l’Espagnol et le Français,
était couturière pour les Galeries Lafayette. Elle produisait des manteaux et
des costumes et pour faire un peu d’argent supplémentaire, elle achetait des
tissus blancs, les teignaient et cousaient des drapeaux marocains, français,
américains, etc.
Son père était « céréaliste » et
ne travaillait que 2 à 4 mois par année.
A 13 ans, mon
père intégrait un cours professionnel et à 14 ans, il travaillait comme
tisserand. Il était celui qui tissait les imprimés "Prince de Galles" à Casablanca.
Fièrement, il raconte avoir acheté du tissu, à la compagnie qui l’embauchait, pour se faire coudre une veste par sa mère.
Il finissait de
travailler à 18 h et de 20 h à 22 h, il prenait des cours d’anglais et de
comptabilité en alternance. C’était des cours gratuits de deux ans offerts par
l’état. Ils étaient 40 en classe à
débuter le cours et au bout des deux années, il n’en restait que deux. Lui et
un jeune arabe, m’a-t-il déjà raconté en riant.
A l’âge de 15 ans,
après avoir travaillé quelques mois pour une autre compagnie, celle qui l’avait
embauché comme tisserand alors qu’il avait 13 ans, le réembauche comme
aide-magasinier puisqu’il étudiait en comptabilité.
Et, selon ses
propres mots… comme il commençait à être riche, puisqu’il gagnait son propre argent, il s’offre
alors des cours de solfège avec le voisin du troisième qui était professeur de
violon.
Grâce à ces
cours, il intègre la première fanfare de Casablanca et à l’âge de 17 ans, il joue
de la clarinette soliste. Il est fier de raconter que les journaux de l’époque
en parlaient et qu’il jouait du Mozart.
Ceci n’est pas
tout. Compétitif, il décide de s’inscrire au club de natation, l’Idéal Club,
pour le concours de la traversée du port de Casablanca. Il en fait deux fois le
tour : 3 km 500.
Natation qu’il a apprise seul. Ils étaient une centaine à faire le tour du port.
Il n’a jamais gagné mais l’important pour lui était de participer, nous
répétait-il constamment, lorsque enfants nous perdions.
Son véritable job
et sa passion était la musique. Un soir, son band – le Blue Star (nom qu’il
avait choisi pour faire référence au judaïsme, à l’étoile de David, sans la
nommer vraiment par crainte de représailles), est embauché par les Américains
de la United Service Organization (USO), pour distraire les troupes de soldats basés au Maroc. Ils y sont restés 7 ans.
Puis il a joué
de la musique pour le Cercle de l’alliance israélite de Casablanca et le club
des Provinces de France. Je me souviens, alors que nous étions enfants, nous l’écoutions
jouer de la fenêtre de la cuisine de l’appartement qui donnait, dans le même bloc, sur l'édifice
arrière des provinces de France.
Puis vint l’indépendance
du Maroc en 1956. Le pays n’était plus le même. Mes parents très européanisés ou
américanisés dans leurs têtes ne s’y sentaient plus très bien.
Lorsqu’il a
rencontré ma mère (qui elle était secrétaire de direction dans une banque –
avec un cours élémentaire aussi), il a immédiatement fait sa demande pour
émigrer aux États-Unis, à New York, Washington ou en Nouvelle-Orléans puisque
une partie de notre famille s’y trouvait déjà. Et une autre demande pour le
Canada. Les deux acceptations sont arrivées en même temps et le choix du Québec
s’est imposé. Nous étions francophones.
Nous sommes
arrivés à Montréal, le lundi 13 avril 1964, grâce en grande partie à Raphael Lallouz, son batteur, qui avait lui, déjà émigré. Ce 13 avril donc, il rencontrait Gus Viseur, l’accordéoniste de bal musette et le samedi soir,
il travaillait déjà comme musicien à l’Union française.
Puis, pendant 29
ans, il a fait de la comptabilité pour la compagnie Standard électrique qu’il a
quitté à l’âge de 66 ans. Il aurait continué à y travailler si elle n’avait pas
fait faillite.
Lorsque j’ai
travaillé au Bloc québécois, j’ai
demandé à mon père en 92 de voter Non à Charlottetown et pour le BQ en 93.
Vous pensez qu’il
a suivi mes conseils? Et bien non! Ni en 92, ni en 93. Il me l’a avoué, il n’y
a pas si longtemps.
La famille est
arrivée au Québec grâce au Parti libéral, dit-il. Il est reconnaissant au parti
de lui avoir permis, de travailler, de gagner sa vie dignement et surtout de
pouvoir élever ses enfants sans crainte.
Vous pensez qu’après
un parcours comme le sien il est facile de le faire changer d’avis? Même sa
propre fille n’avait pas réussi.
Mon père est Libéral. Il est si Libéral qu’il en est « conservateur »!
Vous croyez que
certains aînés ou jeunes immigrants qui ont quitté leur pays natal après des bouleversements
violents ou une indépendance changeront leur ligne de pensée ou d’orientation
politique? Peut être bien que oui? Peut être bien que non?
Peut être que pour certains d’entre eux le moment est venu d'analyser la politique
autrement - de la géopolitique à la régionalisation?
Peut être que certains d'entre eux ont compris que les temps et les besoins ont changé et que nous vivons un moment important de notre histoire québécoise, comme le souligne Pierre Duchesne?
Peut être que certains d'entre eux ont compris que les temps et les besoins ont changé et que nous vivons un moment important de notre histoire québécoise, comme le souligne Pierre Duchesne?
* Sur la photo selon mon père: le batteur est un invité qui a souhaité prendre la photo, par contre le deuxième à gauche, qui tient les maracasses est le batteur officiel: Raphael Lallouz, Rosine Chauvet (Charbit - Algérienne d'origine) et sa soeur (dont il ne se souvient plus du nom), Elie Abitbol (mon père - clarinettiste - chef d'orchestre), Émile (saxo) et le dernier dont il ne se souvient plus le nom mais l'origine espagnole.
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