Samedi 23
juin 2012, avant même d’avoir lu les journaux, j’ouvrais mon iPad pour lire les
nouvelles via Twitter et facebook. Mon réflexe depuis plusieurs mois.
Le premier tweet qui est
apparu (désolée je n’ai pas fait de capture d’écran) est celui-ci de rue 89 qui
proposait la lecture de ce texte :
J’avoue
que depuis le début du conflit social qui sévit au Québec, je me suis un peu
désintéressée à ce qui se passait du côté de l'Europe, du Moyen-Orient et des
pays arabes.
Sans m’attarder à raconter ma vie, je voudrais
mentionner quelques faits qui sont remontés à ma mémoire en lisant le
témoignage courageux de ce jeune lyonnais de 17 ans.
Je n’ai pas pu m’empêcher
en parcourant ce texte de repenser aux nombres de fois que personnellement je
me suis fait insulter en me faisant dire, en anglais bien sûr, que j’étais une
« Self Hated Jew ».
Je me suis souvenue du
groupe que nous avions organisé, il y a plusieurs années grâce à Michael
Benazon, professeur de littérature anglaise au CEGEP Dawson (si ma mémoire est
bonne) et amoureux de Montréal (publié Montréal Mon Amour) et qui nous a
quittés depuis.
Le groupe s’appelait
Shalom/Salam. Évocateur non?
Nous nous recevions une
fois toutes les deux semaines à Montréal chez l’un ou l’autre des
membres. Certains très connus des médias québécois.
Chez les Shaloms,
il y avait des juifs originaires d’Afrique du nord et d’Irak (les Sépharades),
des juifs dont les parents étaient originaires de Pologne, de Hongrie, de
Russie, d’Ukraine (les Ashkénazes) et des juifs israéliens.
Chez les Salams,
il y avait des Libanais (chrétiens et autres) des Palestiniens, des Syriens,
des Égyptiens, des Marocains et des Algériens.
Nous nous rencontrions pour
discuter des derniers événements qui se passaient en lien avec le Moyen-Orient,
les pays arabes et/ou les couvertures médiatiques de ces pays et leur réception
dans les pays occidentaux, surtout au Canada.
Je me suis souvenue que
nous avions discuté de ce phénomène qui est décrit dans ce texte lu ce matin,
le jour où l’un d’entre nous, chez les Shaloms, s’était fait traiter de
« Self Hated Jew ».
Les amalgames portent beaucoup de tort à quelque cause que ce soit. Les amalgames sont provoqués par des personnes qui ne supportent pas les nuances. Et peuvent difficilement naviguer dans les zones grises.
C’était la première fois
que j’entendais l’expression, "Self Hated Jew", avant qu'on m'en accuse un jour et par la suite à plusieurs reprises.
L'expression accusatrice
nous a bien entendu amené à la discussion prévisible, celle que, si nous sommes
juifs, nous ne pouvons pas critiquer Israël et ses politiques; que ce soit dans
nos propres familles et pire encore en dehors, dans des cercles de non-juifs.
Vive discussion après que je sois intervenue en rappelant qu’Israël est un état et une démocratie de type parlementaire et ne représente pas grand chose pour certains d’entre nous de culture ou de religion juive (ou des deux) qui n’y avions jamais mis les pieds puisque nous vivions au Québec. Que nous n'étions pas Israéliens.
Ça peut paraître naïf de
raconter cela comme un clash intérieur, mais c’est ce qui se produisait chaque
fois qu’on abordait le sujet de la reconnaissance de l’état palestinien.
Ma réflexion me plaçait
dans une drôle de position affective et émotionnelle car ma grand-mère
paternel, dont je porte le prénom Hannah (c’est mon prénom hébraïque de
naissance) était née à Jérusalem, fille du grand rabbin, elle avait grandi dans
le quartier Mousrara, ancien quartier juif arabe de la ville et avait immigré
au Maroc à l'âge de 14 ans. Elle s'était mariée, y avait élevé une famille de 9
garçons et une fille, pour ensuite divorcer et retourner en
Palestine sur le bateau d’Exodus (c’était en 47). Je ne l'ai donc pas connue.
Les Juifs de notre groupe avaient immédiatement réagi en m’accusant d’être nationaliste québécoise, en me rappelant les tristes pages d’histoire et en insistant sur l’importance de pouvoir compter sur une terre qui m’accueillerait s’il se passait un autre holocauste.
J'avais fortement réagi en mentionnant que j’étais Québécoise, que mes enfants l’étaient et que
« oui, n’en déplaise à plusieurs, je m’identifiais au peuple
québécois ». Nouveau tollé et le rappel par certains juifs ashkénazes du
groupe : c’est ainsi qu’avait débuté l’holocauste, par le nationalisme
allemand alors que des milliers de Juifs se disaient être à l’abri car ils disaient d'abord allemands avant d’être juifs.
Je me souviens aussi que
chaque fois qu’un événement majeur se passait en Israël ou en Palestine, nous
nous réunissions. Nous débattions du fait qu’il ne fallait pas transporter le
conflit Israélo-Palestinien ici au Québec ou au Canada.
Et chaque fois, chacun des
membres des deux groupes devait porter le poids des atrocités commises par l’un
ou l’autre état.
Si bien, que nous avions de
la difficulté à rendre compte, à réagir ou même à défendre car la prémisse pour
certains d’entre nous était faussée. Nous nous identifiions comme Québécois.
Et le principal point de
discorde bien entendu était Jérusalem. Lorsque nous en discutions, j’entendais
encore mon père fièrement dire que sa mère était palestinienne. Même si le
reste de la famille le rappelait à l’ordre; il maintenait que sa
mère était palestinienne parce que née en Palestine, avant la création de
l’état d’Israël.
Plus tard, alors que je
participais à des colloques sur le sujet du Dialogue des cultures et des
Civilisations et que j’avais la responsabilité de rédiger la déclaration
internationale du mieux « Vivre ensemble », je débutais toujours noir
sur blanc par ce même paragraphe :
reconnaissance de la ville de Jérusalem comme Capitale du patrimoine mondial de la spiritualité religieuse…
Il s’en trouvait toujours
quelques-uns des participants radicaux de part et d’autres pour
venir défendre leur bout de terre et tenter de m’amener à admettre mes torts et
me faire écrire autre chose.
En relisant ce texte
samedi, j’ai revu passer les images de ces prises de position au sein de notre
groupe SHALOM/SALAM, qui ne nous ont menées nulle part vraiment
sinon à nous apprécier tous un peu plus après chaque réunion, et surtout à nous
retenir publiquement pour prendre des positions trop radicales qui pourraient
heurter la sensibilité de l’autre groupe. C’était déjà toute une victoire
personnelle pour chacun d’entre nous.
Nous avons commencé à nous
aimer et c’est ainsi que nous ne voyions plus d’intérêt à nous rencontrer.
Notre groupe s'est dissous
car il n’avait pas de reconnaissance réelle (nous ne la souhaitions pas), ne
prenait pas de positions réelles publiquement car nous avions de la difficulté
à trouver les mots justes pour dire et malheureusement trouver consensus pour
publier un texte sur un conflit qui se radicalisait tant et si bien, qu’il
était de plus en plus difficile d’en discuter, bien confortablement assis dans
les salons de l’un ou l’autre, alors que se jouait ailleurs une véritable
guerre dont l’issue n’était pas pour demain.
Je n’ai jamais voyagé en
Palestine, ni en Israël, bien qu’une partie importante de ma famille y vive. Je
ne suis pas une juive honteuse ni une Self Hated Jew pour
cela.
Un jour peut être, j'irai
me promener dans les vieux quartier Mousrara. Un jour peut être, j’irai me
recueillir sur la tombe de ma grand-mère au cimetière de l'entrée de Jérusalem et sur celle de mon arrière grand-père, le rabbin Raphaël Bibas, au cimetière du Mont des Oliviers. Et
j'irai visiter cette ville que certains disent magnétique: Jérusalem.
J'irai lorsque j'en
ressentirai le besoin ou l'envie et que je pourrais m'y promener librement et
fièrement.
ce dernier m'a affirmé que:
" le jour où vous mettrez les pieds en Israël, vous ne voudrez
plus la quitter. Je vous le prédis."
Peut être que cette double
culture juive et arabe fait en sorte qu'il soit difficile de s'identifier aux
juifs ashkénazes?
Je suis retournée au Maroc
une bonne vingtaine de fois depuis 1990. C'était la première fois que j'y
remettais les pieds depuis l'arrivée de notre famille au Québec en 1964.
Chaque fois, j’y étais
reçue par les milieux musulmans laïcs et religieux modérés comme
l’une des leurs.
J’ai assisté à des soirées
soufis et je me souviens d’en être sortie pleine de reconnaissance pour la
beauté du monde.
Cette beauté que je
retrouve dans le peuple québécois, lorsqu’il exprime librement et de manière si
touchante sa culture le 24 juin.
Lorsque Nous Nous exprimons
ensemble.
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