NOUS
AVONS CHOISI LE QUÉBEC
MÉMOIRE DES FEMMES QUÉBÉCOISES
LAIQUES ORIGINAIRES DU MAGHREB ET DU MOYEN-ORIENT
Présenté
À la COMMISSION DE CONSULTATION
SUR LE PROJET DE LOI
60
Charte
affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l’État ainsi que
d’égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d’accommodement
Table des matières
Première partie :
Témoignage d’Évelyne Abitbol
1.0 Introduction
1.1 La raison d’être de la déclaration «Ensemble»
1.2
Qui sommes-nous ?
1.3 Non aux signes religieux
1.4 Texte du manifeste «ENSEMBLE »
Deuxième partie : Témoignage de Leila Lesbet
2. 0 Introduction
2.1 D’où je viens?
2.2
Retrouver un islam éclairé
2.3
La montée de l’intégrisme religieux
2.4 Nous
appuyons le projet de loi 60
Première partie :
Témoignage d’Évelyne Abitbol
1.0 Introduction
A la fin du
mois de novembre 2013, en observant la polarisation qui se manifestait autour
de la charte des valeurs telle que proposée par le gouvernement du Québec par
le ministre responsable des Institutions démocratiques et de la participation
citoyenne, Bernard Drainville, plusieurs d’entre nous, Femmes laïques du
Maghreb et du Moyen-Orient, avons décidé de prendre position et de faire valoir
notre point de vue.
Sur la place
publique, la parole étant cédée aux fondamentalistes religieux. Il nous
était alors essentiel de préparer une
nouvelle action commune car, bien que peu ou pas médiatisées, ces actions ont
toujours existé.
Une déclaration Ensemble a alors été rédigée pour faire en sorte qu’aucune
représentante des trois religions monothéistes ou autres, y compris celles qui
se disaient athées ou agnostiques, n’hésitent à la co-signer.
Il y a
plusieurs années, nombre d’entre nous, faisions partie du groupe Shalom –Salam,
pour retrouver ce dialogue entre nos cultures qui a existé à différentes
époques de l’histoire. Il suffisait de nous manifester.
A ce jour, 1500
personnes ont signé la déclaration. Et près de 4000 personnes ont visionné la
vidéo basée sur le texte que ce soit sur Viméo ou sur You tube.
L’exercice en
soi a été une expérience qui nous a encore plus convaincue de la nécessité
d’établir des bases ou des paramètres autour desquels nous nous reconnaissions.
Cette
déclaration nous voulions la rendre publique essentiellement dans l'intention
de neutraliser ceux et celles qui souhaitaient polariser les débats.
Notre
déclaration, d’abord cosignée par une quarantaine de femmes laïques originaires
du Maghreb et du Moyen-Orient et appuyée par des dizaines de personnes dans les
heures qui ont suivi sa diffusion, a rapidement suscité de la sympathie, entre
autres, sur les médias sociaux au point où nous avons été contraintes de
diviser la déclaration et de proposer aux Québécois dits « de souche », puis de
toutes origines confondues, de la remplir et de la signer. Alors qu'il ne
s'agissait pas au point de départ d'une pétition.
1.1 La raison d’être du
manifeste «Ensemble»
Pour quelles
raisons avons-nous donc décidé, à tout le moins pour certaines d'entre nous,
car d'autres y étaient déjà fort bien engagées, d'entrer dans le débat alors
qu'il a suscité depuis les tout débuts tant de réactions quotidiennes vives par
divers groupes organisés autour d'associations?
Parce que les prises
de positions nuancées et éclairées contre la stigmatisation des musulmans ou
des Juifs et en faveur d’un vrai débat sur la place de la religion dans les
institutions publiques et sur la nécessité de limiter son expression chez les
fonctionnaires, étaient invalidées à coups d'attaques personnelles. Nous
constations également que ces attaques ont été étonnamment dirigées envers la
majorité des modérés, toutes religions confondues. Envers les laïques.
Exactement à l’image de ce qui se passe ailleurs dans le monde, y compris dans
les zones d’intenses conflits civils.
Nous avons
poursuivi notre démarche, jusqu’à nous présenter devant vous, parce que dès les
premières discussions pour solliciter la signature de cette déclaration par les
femmes, j’ai personnellement été témoin et entendu la crainte de représailles
manifestée par nombre de femmes qui hésitaient à la signer.
Un chiffre
conservateur : une centaine de femmes contactées étaient rébarbatives à
apposer leur signature tout en étant en tous points d’accord avec nous. Les
représailles qu’elles affirmaient craindre pouvaient venir de leur famille, de
leurs amis, ou des membres de leur communauté culturelle ou religieuse.
Cette crainte
manifestée en majorité par les femmes juives et musulmanes était alors
expliquée par le fait qu’elles auraient l’impression de s’opposer à leur
« communauté », qu’on le leur reprocherait, qu’on leur ferait peut
être également perdre leur travail. Certaines faisaient un amalgame entre leurs
allégeances politiques libérales ou à Québec solidaire et le fait que ce soit
malheureux pour elles que ce soit le gouvernement péquiste qui propose la
charte de la laïcité et non le parti libéral, etc.
Voilà pourquoi
nous sommes convaincues que le projet de loi 60 se doit d’être validé au-delà
de toute partisannerie politique, car tous les députés de l’Assemblée nationale
du Québec s’entendent au moins sur la priorité à accorder à l’égalité entre les
hommes et les femmes.
Finalement, le
plus important pour nous a été l’appui verbal à notre démarche et surtout
l’encouragement que les femmes nous manifestaient à aller au bout de nos actions
pour que la loi soit appliquée le plus tôt possible. Et ainsi, comme le
mentionnaient certaines d’entre elles, l’excuse d’être contrainte de respecter
la loi les soulagerait de la pression familiale, communautaire ou religieuse.
Pour le dépôt
de ce mémoire, nous aurions pu parler de la grande noirceur, du Refus global,
de la déconfessionnalisation des écoles, de la loi 101, de l’échec du
multiculturalisme ou du chemin parcouru par le Québec pour préserver son
identité nationale. Nous savons que les organismes publics et parapublics pour
la Charte feront largement état du bienfait de l’imposition de cette dernière
selon les thèmes mentionnés plus haut.
1.2 Qui sommes-nous ?
Nous sommes deux auteures principales de ce mémoire
et nous avons choisi de vous présenter des clins d’œil ou une synthèse de notre
parcours, de ce qui nous a forcé à quitter notre pays d’origine, de ce que nous
nous attendions à trouver au Québec et ce qui ressort des discussions d’avec
les 40 cosignataires, originaires du Maghreb et du Moyen-Orient. Leila
Lesbet, T.E.S. et membre de PDF Québec (Pour les droits des femmes du Québec), est
arrivée au Québec à l’âge de 50 ans. Vous retrouverez son témoignage en
deuxième partie. Elle vous fera part de son expérience et de nos réflexions.
Quant à moi,
Évelyne Abitbol, consultante, qui ai initié ce manifeste, j’ai quitté précipitamment
à l’âge de douze ans Casablanca (Maroc), ma ville natale, avec ma famille, car
j’étais suivie depuis quelques jours par des individus et qu’il y avait eu des
rapports publiques mentionnant la disparition ou le viol de filles juives. On
accusait les radicaux musulmans et politiques ou même Israël de créer un climat
de terreur pour que les Juifs quittent le pays. Vrai ou pas? Nous ne le saurons
probablement jamais. J’étais encadrée par la famille et ne mettais plus le nez
dehors sans être accompagnée d’un adulte. La famille a fait une demande
d’immigration aux États-Unis et au Canada. Les deux acceptations sont arrivées
en même temps. Devant le choix entre New York et Washington, puisque des
membres de la famille y vivaient déjà ou encore pour le Canada, entre Toronto
et Montréal au Québec, le choix s’est vite arrêté sur Montréal, car on y
parlait français.
Pour plusieurs
d’entre nous, surtout les juives sépharades de notre groupe, nous sommes
arrivées très jeunes au Québec, contrairement à Leila qui a un parcours
totalement différent. Nous avons fait partie de cette vague d’enfants juifs
refusés par le secteur francophone de la Commission des écoles catholiques de
Montréal (CECM), car nous n’étions pas catholiques. Nous étions ceux qui se sont
retrouvés parqués à leur arrivée (dès l’ouverture) dans la section française de l’école Baron
Byng High School, école protestante où ont étudié le célèbre Mordecai
Richler, entre autres célébrités du milieu anglophone. Nous
étions italiens, grecques, français, marocains, protestants, orthodoxes,
bouddhistes, juifs, catholiques et athées… les premiers cobayes de ce qui
allait devenir les écoles non-confessionnelles. Et nous étudiions dans un
secteur francophone en construction, ce qui fait que, par absence de
professeurs, on nous enseignait la géométrie ou la chimie, etc. dans le secteur
anglais … un enseignement entre les deux langues. Sans cours de religion ou de
morale, encore moins d’éthique. La littérature nord-américaine et l’histoire du
Québec et du Canada nous étaient enseignées.
Et nous nous en
sommes, ma foi, bien sortis. Sans religion imposée à l’école, nous étions dans
la continuité de l’enseignement laïque reçu dans nos pays d’origine. Cet
encadrement académique a permis à nombre d’entre nous de parvenir à ce que nous
appellerons l’ouverture à l’apprentissage de la démocratie.
Le reste fait
partie de nos vies personnelles : notre difficile intégration,
l’appartenance aux diverses communautés ou non, la pratique de la religion, les
mariages mixtes, etc.
1.3 Non aux signes religieux
En ce qui
concerne le projet de Charte de la laïcité, c’est de toute évidence l’article 5
de la section 2 qui provoque le plus de réactions enflammées. Sur cette
question délicate du port de signe religieux, la charte proposée a le mérite de
nommer les vrais enjeux et d’apporter des réponses à la question. C’est ce qui
avait été balayé sous le tapis en 2007 lors des consultations sur les
accommodements raisonnables et du rapport qui a suivi en 2008. La charte de la
laïcité proposée par le gouvernement est tout sauf ambigüe.
Yolande Geadah[1],
auteure et co-signataire de la déclaration résume notre position face au
marquage du territoire et du symbole religieux :
Tout d’abord, il est
faux de croire que la restriction de signes religieux porterait gravement
atteinte à la liberté religieuse. Ce serait réduire la croyance religieuse à un
simple symbole, quel que soit le sens qui s’y rattache. Ce serait aussi faire
le jeu du fanatisme religieux de toutes allégeances, qui a tendance à jeter
l’anathème sur les fidèles refusant ces symboles. Il est difficile d’ignorer le
fait que certains mouvements sociaux instrumentalisent la religion à des fins
politiques, et visent à marquer leur territoire par la propagation de symboles
religieux.[2]
Pour notre groupe, le projet de loi 60
permet de protéger les convictions spirituelles des individus qu’ils soient non
croyants ou croyants, et les incite tous à s’ouvrir à l’éducation citoyenne.
« S’il
faut éviter le piège du racisme lié aux amalgames abusifs, il faut également
éviter l’aveuglement du relativisme culturel, qui brouille les cartes et nous
empêche de dépasser la défense d’intérêts particuliers à court terme, pour
assurer le respect des droits et des libertés de tous les citoyens et
citoyennes à plus long terme. » [3]
Nous appuyons
donc la charte dans son ensemble et nous oserions affirmer qu'elle ne va pas
assez loin pour certaines d’entre nous.
Nous
souhaiterions que la Charte interdise le port du Niqab et du Tchador dans
l’espace public en général. Alors que tant de
personnes, de femmes et d’hommes dans le monde, notamment dans nos pays
d’origine, luttent sans relâche pour s’extraire de l’obscurantisme et du
fondamentalisme religieux et pour mettre en place la laïcité de l’État, nous ne
pouvons accepter qu’on tolère ici de tels vêtements rétrogrades et qui sont une
atteinte à la liberté et à la dignité des femmes.
Aussi, nous
nous prononçons contre le patriarcat exercé, entre autres, sous prétexte
religieux. Il y a sur le chemin, des naïfs, des « idiots utiles »,
remplis de bonne volonté (pléonasme voulu) qui, sous couvert d'ouverture,
défendent justement ceux qui font preuve de la fermeture de la grande noirceur.
Il s’agit peut-être d’un fantasme de
voir la femme plus esclave et soumise que jamais, plus cachée, hors des regards
et si possible dans le placard.
Pour nous, la foi se vit dans la plus stricte intimité, dans notre rapport avec la spiritualité, notre place dans l'univers, si tant est que nous acceptons de faire entrer la religion dans nos valeurs personnelles. Lorsque ce rapport est faussé par l'intrusion du politique et du collectif dans les valeurs religieuses, alors la guerre se poursuit dans une autre sphère, dans la confusion et les amalgames. Depuis 2013, ou en 5774 pour le calendrier juif ou en 1434 pour le calendrier musulman, le monde se bat au nom de la religion ou des cultures.
Qu’entend-on par le mot culture? Il y a 150 définitions
du mot culture qui se situe par étymologie entre Agriculture et culte. Voici ce
qu’en disait Régis Debray lors
d’un colloque sur le dialogue des Cultures en 2007 à Séville :
Nous habitons une culture
et non une technique, avait-il longuement expliqué. « Il y a trois mille
langues parlées dans le monde… seulement trois écartements de rail pour les
voies ferrées, deux voltages électriques pour nos appareils, et une seule
Organisation de l’aviation Civile internationale (OACI) téléguidant dans un
même code technique, l’anglais, tous les aéronefs… UNE TECHNIQUE EST
UNIVERSALISABLE, PAS UNE CULTURE! »
Une
charte de la laïcité est donc une TECHNIQUE pour que soient regroupés les
actes juridiques des objectifs communs d'une nation. Elle est indispensable
pour tout État de droit, afin que les bases minimales communes (légales) entre
les cultures y soient clairement définies. Et elles ne peuvent pas être autres
que juridiques. La
technique qui permet cette universalité est la laïcité, socle de la démocratie.
Nous, les
femmes du Maghreb et du Moyen-Orient, avons choisi de lutter ENSEMBLE pour nos
droits contre TOUS les intégrismes.
Par compassion
pour le Québec qui a connu cette grande noirceur, nous, les personnes originaires
d'autres pays, leur devons le plus grand respect en ne les replongeant pas dans
le débat subi au siècle dernier pour faire émerger la société civile de
l’autorité religieuse. D’autant plus qu’il s’agit maintenant de faire face à
des fondamentalismes qui ne devraient pas nous concerner puisque nous avons
choisi de vivre au Québec.
Nous devons tout
autant empêcher les xénophobes de continuer à manifester leur peur ou leur
haine que contrecarrer les fondamentalistes religieux qui veulent nous imposer leurs
diktats religieux, qu'ils soient juifs, musulmans ou chrétiens...
Nous pouvons
faire vivre en nous, et nous en sommes la preuve vivante, toutes les
appartenances, plusieurs cultures, des identités multiples, qui ne sont que
richesses pour un individu. Nous nous sentons riches de ces apports multiples. Ce
n’est qu’au moment où nous les opposons que les conflits émergent.
Donc, s’il y a une culture sur laquelle
notre foi repose inconditionnellement, nous Femmes du Maghreb et du
Moyen-Orient qui formons le groupe ENSEMBLE, c’est celle de la culture
démocratique.
C’est pourquoi nous appuyons le projet de
loi 60 et déposons la déclaration ainsi qu’une vidéo que l’on retrouve sur le
site etreensemble.org
Deuxième partie :
Témoignage de Leila Lesbet
2.0
Introduction
Mon propos n’est ni
philosophique ni politique, il se veut être le témoignage d’un vécu, qui a fait
la UNE des médias nationaux et internationaux pendant plus d’une décennie,
celle des années 1998 à 2011 qui a été marquée par l’islam politique, qu’on appelle
aussi l’islamisme.
Si je témoigne
aujourd’hui, c’est pour dire que ce qui s’est passé en Algérie ne s’est,
malheureusement, pas arrêté à ma terre natale. Cet islamisme conquérant a pris
sa place également ici au Québec, et ce que nous voyons actuellement n’est que
la pointe de l’iceberg. Aujourd’hui, la tragédie qui s’est abattue sur
l’Algérie et précédemment sur l’Iran se généralise tel un fléau dans tous les
pays arabo-musulmans, excepté les pétromonarchies de la péninsule arabiques
maîtres d’œuvre de l’islam politique.
Ceci n’est ni une
fatalité encore moins une anomalie congénitale spécifique à la population de
tous ces pays parce que musulmane.
2.1 D’où je viens
Je suis arrivée au
Québec le 10 octobre 2001, un mois après les attaques terroristes du 11
septembre. Je venais d’entamer ma cinquantième année. Autant dire que mon
avenir était derrière moi.
Je quittais mon pays
natal où j’avais choisi de vivre, de fonder une famille, de bâtir ma maison, de
construire ma carrière, un métier dans lequel mon épanouissement était égal au
bonheur des enfants dont j’avais la charge puisque j’étais enseignante de
langue française tant au primaire qu’au secondaire.
Je quittais mon pays où
j’étais entourée des miens et de mes amies-amis, de mes voisins. Ce pays où les
droits des femmes étaient en évolution vers des lendemains meilleurs.
Ce pays où la liberté
de dire faisait défaut, mais un pays où il était encore possible de vivre sa
vie au quotidien. Nous avions le choix entre passer du temps dans un bar entre
amis ou aller à la mosquée tel que le mentionnait dans ses discours le
président de l’époque Haouari Boumediene.
Mes deux filles
pratiquaient la danse et le solfège. Elles ont marqué d’une pierre blanche le
jour où maman et papa leur ont offert leur premier piano. Le soleil généreux de
leur cher pays leur permettait de profiter du beau littoral au sable doré où
elles couraient, plongeaient, nageaient dans la plus grande quiétude.
En hiver, les chalets
des montagnes enneigées de Tala Ghilef, les accueillaient ainsi que leurs
groupes d’amies-amis. Elles étaient heureuses de partager ces moments de
plaisir entourées de personnes lumineuses, épanouies et insouciantes des
lendemains. Elles étaient heureuses et cela suffisait à notre bonheur. Elles
vivaient les mêmes joies et les mêmes peines au même titre que tous les enfants
du monde.
Alors que nos filles
entamaient pour l’ainée sa quatorzième et pour la benjamine sa huitième année,
octobre 1988 sonna le glas de leur insouciance et celui de nos espérances. Ce
fut ce qu’on a appelé notre printemps arabo-berbère, J’ai vécu pleinement et
avec conviction et civisme ce moment de l’histoire algérienne. Même si nos
acquis étaient bien minces, nous tenions à les préserver et à les élargir.
Notre engagement pour la liberté, l’égalité, la laïcité et la démocratie était
pacifique. Nous avons choisi la confrontation des idées par le dialogue, le
débat et l’écriture, comme tous les démocrates de ce pays.
Nos adversaires ne
voulant ni la liberté, ni l’égalité, ni la laïcité et encore moins la
démocratie, tous ces concepts étant dénoncés comme occidentaux, ils n’avaient
aucun argument à nous opposer, sauf celui qu’on leur connait :
l’intimidation, la peur, la violence et les assassinats.
Ma vie bascula dans
l’horreur promise par les fous de Dieu, mes rêves s’évanouirent. J’ai dû me
séparer des mes deux filles. Mon ainée, alors âgée de 19 ans, dut quitter le
pays après des mois de claustration volontaire, conséquence d’un kidnapping
avorté grâce à la vigilance et au courage de ses amis étudiants qui firent
barrage aux fous de Dieu obsédés par le corps féminin.[4]
Ma benjamine n’avait
que 15 ans quand elle dut quitter son pays dans la précipitation après avoir
été blessée dans un attentat à la bombe. Elle s’est retrouvée seule en Tunisie,
un pays où elle n’avait ni famille ni amie. Elle dut attendre une année avant
de pouvoir rejoindre sa sœur en France, et ce grâce à la mobilisation de
Français pour l’obtention de son visa et son inscription dans un établissement
scolaire afin de terminer ses études collégiales.
Je n’ai pas eu la
chance comme toutes les autres mamans de partager avec mes filles leurs
premiers secrets amoureux, leur adolescence. J’ai été privée de les voir gravir
les marches qui les menèrent à leur vie de femme. De cette privation imposée,
j’en garde une blessure que seul le Québec a su cicatriser peu à peu.
Malgré cette immense
douleur que m’imposa la séparation précipitée de mes enfants et à laquelle nous
n’étions pas préparées, j’étais rassurée de les savoir en sécurité ailleurs que
dans leur pays qui sombrait chaque jour un peu plus dans la barbarie la plus
cruelle commise au nom de Dieu par ceux qui prétendaient l’aimer et lui obéir.
Pour mon conjoint et
pour moi-même, il n’était pas question de quitter notre pays et de le laisser à
ces mutants dont le projet de société est le retour à une époque où
l’intelligence laissa place à l’ignorance, où le charlatanisme remplaça la science, où la foi s’effaça
devant le pharisaïsme.
À défaut de pouvoir
défendre leur projet mortifère, les islamistes, ennemis de l’islam, l’imposèrent par le terrorisme où le
corps des femmes fut leur champ de bataille et les assassinats le moyen pour
nous imposer leur diktat
2.2 Retrouver un islam éclairé
Ce qui se passe
aujourd’hui dans les pays arabo-musulmans est une collusion entre un wahhabisme
méprisant toute aspiration démocratique, humaniste et moderniste et un Occident
libéral et individualiste attiré par les pétrodollars. Un Occident dont les
politiques fondées sur le multiculturalisme et le relativisme culturel légitime
les coutumes et les us les plus archaïques au nom du respect de la différence.
Ce respect n’est que la
manifestation dissimulée d’un néo-racisme envers les femmes et les hommes issus
de cette culture, de cette religion qui s’imposa, au monde jadis, par la
science, la connaissance et la libération de la femme.
Aujourd’hui, cet
Occident insolent et suffisant prône le multiculturalisme qui, au nom du
respect de ce qu’il pense être ma culture et ma religion, veut m’enfermer dans
un patriarcat et une théocratie dont il s’est pourtant libéré.
Aujourd’hui, les tenants du relativisme culturel au
service du wahhabisme veulent me persuader que Ibn Sina, Ibn Rochd,
Alkhawarizmi étaient contre le progrès ou n’ont jamais existés.
Ces relativistes culturels, ces multiculturalistes
savent-ils que le prophète ne demandait jamais à son épouse Aysha de se voiler
et qu’il l'emmenait avec lui dans des dîners où elle conversait librement avec
des hommes.
Soukaina l'arrière
petite fille du prophète et initiatrice du premier salon littéraire au monde,
répondit à ceux qui voulaient lui
imposer le voile après la mort du prophète «ce serait faire injure à Dieu que
de porter le voile! Dieu est beau et il aime la beauté alors pourquoi me
demander de cacher ma chevelure!» [5]
Wallâda
(976-1025), ouvre le premier salon
littéraire à Cordoue. “Elle
se libère du voile, qui pour elle, est une entrave à la liberté. [6] Il y a eu ensuite Nezhoun,
Kasmouna la Juive, qui est le symbole de la
tolérance de la part de cette société andalouse où juifs et musulmans étaient très proches.
Jamais ces femmes ne se sont voilées.[7]
Plus près de nous Huda
Sharawi, née en 1879, première féministe égyptienne qui refusa le voile et
incita les égyptiennes à en faire autant.[8]
Lors d’une manifestation sur les bords du Nil, toutes les manifestantes
jetèrent leur voile sans être ni insultées ni violentées encore moins violées
par les hommes la société de l’époque contrairement à ce qui s’est passé à la
place TAHIR en Égypte un siècle plus tard.
En 1947, Doria Chafik, femme dévoilée, présente une thèse
à la Sorbonne sur La Femme dans l’islam et, en 1951, elle organise une manifestation de
1 500 femmes devant le Parlement, puis pénètre dans l’hémicycle et
demande aux députés d’accorder aux femmes leurs droits. Le roi Farouk consent. [9]
En 1930, la tunisienne
Habiba Menchari prit la parole lors d’une conférence pour réclamer l’abolition
du voile, imposé aux femmes musulmanes, puis s’était soudainement découverte.
Une telle audace était impensable à cette époque ! Pourtant, elle eut de très
nombreux soutiens dans l’assistance essentiellement masculine. Aucune violence
physique ou verbale. Près d’un siècle plus tard, nous regardons lâchement la
descente aux enfers des tunisiennes au nom du respect du droit à la
différence.[10]
Aujourd’hui, quand
j’entends affirmer : «Que l’excision chirurgicale peut-être envisagée afin
de respecter certaines traditions. » Il y a lieu de s’interroger sur
ces mutilations barbares? Sait-on que l’excision est interdite en Islam !
Aussi, on affirme que, « si on interdit le voile dans la
fonction publique, les femmes algériennes ne voudront plus venir au Québec ». Savent-ils que les femmes
algériennes ont rejeté le voile au lendemain de l’indépendance, il y a de cela
cinquante ans ? C’est le wahhabisme, abusant de ses pétrodollars et du
terrorisme, qui le déposa sur la tête des corps féminins. [11]
Les Occidentaux
savent-ils, qu’il n’y a pas si longtemps, la femme algérienne représentait son
pays dans les compétions sportives mondiales en tenue règlementaire avant que
le CIO ne nous méprise en accommodant le wahhabisme ?
Cette ignorance
élémentaire est une insulte de plus à l’intelligence des femmes musulmanes ou
de culture musulmane. Tout ceci pour dire, que le voile n’a jamais fait
partie ni de la religion ni de la
tradition musulmane, mais il est bel et bien l’étendard de l’islam politique
que défendent les multiculturalistes.
Si on demandait à
Malala de retirer son voile avant d’entrer dans une salle de classe, elle le
ferait sans aucune hésitation. Elle a bravé la mort et a fait de l’éducation et
de l’instruction des petites filles son cheval de bataille. De même, je suis persuadée que mère Teresa
aurait choisi de continuer de prendre soin des pauvres plutôt que de garder sa
cornette ou son foulard. Ces femmes sont des femmes de conviction pour qui le
bien de la collectivité passe avant leur caprice personnel, leur visibilité et
leur croyance individuelle. Ce n’est pas l’aliénation, mais l’engagement pour
un monde meilleur et égalitaire qui a fait d’elles ce qu’elles sont : des
exemples d’altruisme pour l’humanité. Pensez qu’elles pourraient agir
autrement, c’est les offenser et dénier leurs convictions.
C’est cette même
conviction qui m’anime et me pousse à militer pour la laïcité au Québec. Cette
laïcité, même si elle n’est pas suffisante, est plus que nécessaire. La laïcité
de l’État, c’est la neutralité de ses institutions incarnées par celles et ceux
qui ont choisi de le représenter. Ce choix implique que le commis de
l’État doit s’interdire toute affirmation visible de ses
convictions religieuses ou politiques ainsi que ses croyances ou sa
non-croyance.
C’est l’absence de laïcité et de
démocratie qui ont fait qu’Évelyne, moi et bien d’autres encore avons choisi le
chemin de l’exil. Aujourd’hui devant la montée des intégrismes, Evelyne, moi et
bien d’autres encore craignons de revivre ce que nous avons fui.
2.3 La
montée de l’intégrisme religieux
Ignorer la
montée des intégrismes religieux en général, et de l’islam politique en
particulier, c’est mettre en danger la cohésion sociale, fragilisée par ces accommodements
qui privilégient la différence des droits plutôt que le droit à la différence,
comme l’explique madame Yolande Geadah.[12]
Encourager les manifestations de
l’islam politique ici au Québec, c’est dire à toutes les femmes qui ont fui
leur pays qu’elles ne peuvent prétendre ici au Québec aux mêmes droits que les
Québécois de souche. C’est aussi leur envoyer le message, que le Québec
encouragera le patriarcat et les traditions archaïques qu’elles pensaient avoir
laissées derrière elles. Et pour ce faire, ce sera favoriser la ghettoïsation
des immigrants en les maintenant isolés et en multipliant ainsi les
solitudes.
Refuser de reconnaitre les
manifestations des intégrismes ici au Québec relève de l’angélisme pour
certains et de la collusion pour d’autres. Madame Fatima Houda Pepin en a fait
la démonstration ici même en mai 2005, en faisant adopter à l’unanimité une
motion contre les tribunaux islamiques. A cette époque, l’assemblée nationale a
soutenu le droit collectif de toutes les femmes contre le droit individuel.
Qu’est-ce qui a changé aujourd’hui
pour que l’Assemblée nationale du Québec hésite à faire appliquer les
conventions internationales qu’elle a entérinées, telle que la CEDEF (Convention pour l’élimination de toutes les formes
de discrimination à l’égard des femmes). Le projet de loi 60 ainsi que
l’Avis de 2011 du Conseil du statut de la femme vont dans le même sens que la
CEDEF.
Les manifestations intégristes
sont nombreuses et elles ne cessent de s’amplifier, car elles sont encouragées
par l’obtention d’accommodements qui, souvent, ne sont ni demandés, ni
justifiés. Notre environnement laïc est grignoté quotidiennement par des propagandistes de l’islam politique qui
s’autoproclament imans, ou responsables de centres
communautaires encourageant le repli sur soi chez les immigrants de confession
musulmane.
Certaines garderies en milieu
familial dirigées par les femmes portant le foulard islamo-politique, refusent
aux petits Québécois les célébrations telles que Noël, Pâques, Halloween ou
autres. Par contre, elles les soumettent à l’appel de la prière.
En faisant fi de leur
environnement familial et social, ces éducatrices créent une incompréhension
chez l’enfant que plusieurs spécialistes considèrent inquiétante pour le
développement psychologique de ce dernier qui, rappelons-le, apprend beaucoup
par mimétisme.
Nous constatons des attitudes de
ségrégation et de sexisme dans certains services de garde des différentes
commissions scolaires. Au niveau scolaire, certains parents interdisent à leurs
enfants de fréquenter des Québécois dont l’éducation et la moralité sont
condamnables à leurs yeux. Je peux témoigner de cas auxquels j’ai assisté. Il y
a aussi, l’intimidation entre enfants, s’il est constaté chez lui ou chez elle
la non observance des restrictions alimentaires. Dans certains cas, c’est le
repas qui est jeté aux poubelles ; dans d’autres, c’est le dessert
contenant la gélatine qui est proscrit.
Dans une école de Montréal, une
éducatrice en service de garde a été littéralement prise à la gorge par un
parent quand il a appris qu’elle avait donné à son fils un repas non hallal.
Cette éducatrice consciencieuse ne pouvait laisser un enfant sans repas en
hiver. Heureusement qu’il y a eu l’intervention d’une employée algérienne
auprès du père en lui rappelant son devoir de parent et en prenant à son compte
le geste généreux de sa collègue, ce qui fit changer d’attitude le père. Ce qui
a le plus offusqué l’employée c’est le refus de la direction de déposer plainte
contre cet individu irresponsable et agressif et cela, à cause de la
crainte d’être traitée de raciste ou de xénophobe.
Dans bon nombre de mosquées, sous
couvert de l’apprentissage de la langue arabe, c’est l’islam le plus sectaire
qui y est enseigné aux enfants ainsi que la mise en garde quant à leur
intégration à la société québécoise qualifiée d’impie et de libertine. Cette
pédagogie de l’exclusion de l’autre est enseignée, entre autres, à la mosquée
Al Sunnah Al Nabawiah de Montréal où les propagandistes de l’islamisme
expliquent, en se basant sur des hadiths non conformes, que seules les fêtes
musulmanes doivent être célébrées. Est-ce cela l’inclusion dont nous parlent
les opposants au projet de loi 60 ?
Avons-nous oublié l’iman de la
mosquée de Brossard qui expliquait et approuvait les mutilations physiques
qu’impose la charia en cas de vol et approuvait la lapidation pour adultère.
Dans le petit Maghreb du quartier St-Michel de la ville de Montréal, il a été
fortement suggéré, pour ne pas dire imposé, aux propriétaires de café de fermer
boutiques durant le mois de ramadan. Pour ceux qui ont refusé d’obtempérer dans
un premier temps, ils ont dû abdiquer devant les menaces à peine voilées.
Est-ce cela l’intégration que nous promet le Québec inclusif ?
Je fais partie de cette communauté
qui est loin d’être un bloc monolithique où une minorité bruyante et agissante
porte atteinte à nos libertés, à nos aspirations et surtout à notre intégration
économique, par l’usage d’accusations-bâillons.
Je suis citoyenne canadienne de
culture musulmane. J’ai été élevée par
des parents croyants et pratiquants. Je ne me reconnais pas, nous ne
reconnaissons pas dans cette religiosité qui porte atteinte à l’Islam des
lumières.[13]
«Si
on doit faire de la politique, il faut que celle-ci soit souveraine et pas du
tout soumise à un lobby religieux. Sinon, nous allons tomber dans un
fédéralisme non pas politique, mais confessionnel, qui engendrera, tôt ou tard,
des aberrations. Quand l'Islam va mal, la voix de la Raison peine à se faire
entendre. De nos jours, la pression des intégristes rend souvent inaudible
celle des modérés». [14]
2.4 Nous
appuyons le projet de loi 60
Quant à
nous, femmes aux identités multiples, nous saluons et soutenons ce projet de
loi courageux et éclairé qui fera du Québec une société où tous les acteurs,
femmes et hommes, seront sur le même pied d’égalité face à l’État nation laïque
et démocratique.
Toutefois, nous regrettons que ce
projet de loi, ne protège pas des pressions sociales et familiales les enfants
mineurs en leur imposant la neutralité absolue dans tous les établissements
scolaires.[15]
Afin de respecter la liberté de
conscience des enfants, nous demandons l’abolition du cours d’éthique et
culture religieuse. Le Canada et le Québec qui ont ratifié la Convention internationale des droits de l'enfant doivent la faire
respecter en protégeant les enfants de toute manipulation tendancieuse et
partisane qu’elle soit visible ou insidieuse.
Je terminerai en rappelant l’interview que le Grand Rabbin
de Londres, Lord Sachs, a donnée au Times. Il a comparé la Grande-Bretagne à un
hôtel où «personne ne se sent chez lui. Ce n’est le pays de personne. Chacun a
sa chambre, et tant qu’on ne dérange pas les voisins, chacun fait ce qu’il
veut. Le multiculturalisme crée une société où chacun n’est plus qu’un invité ».
Selon lui, le multiculturalisme en Grande-Bretagne a
« fait son temps, et n’a conduit qu’à la ségrégation et à des communautés
repliées sur elles-mêmes. Le danger réel des sociétés multiculturelles, c’est
que chaque groupe ethnique et religieux devient un groupe de pression, qui
privilégie ses intérêts avant l’intérêt national.» Lord Sachs appelle à une
société multiethnique qui ne soit pas multiculturelle.[16]
Pour ma part, je
voudrais encore croire que j’ai fait le bon choix en venant ici au Québec. Je
voudrais croire que les femmes et les hommes politiques du Québec choisiront
pour nos enfants un pays de savoir, de culture, de cohésion au lieu du
reniement de soi. Je voudrais croire que nous pourrons élaborer un modèle
d’intégration et de justice.
Ou bien devrais-je
me préparer à reprendre le chemin de l’exil… Devrions - nous plier bagage? Mais pour aller où ?
[1] Yolande Geadah, auteure
d’Accommodements raisonnables - Droit à la différence et non différence des
droits, VLB éditeur, 2007
[2] Yolande Geadah, «Charte des valeurs
québécoises - Laïcité: quatre mises au
point essentielles : Le symbole religieux introduit une barrière
symbolique et une inégalité de fait entre les personnes qui le portent et les
autres », 13 septembre 2013
[12] Yolande Geadah, Accommodements
raisonnables, droit à la différence et non différence des droits, VLB, 2007.
[13] Malek
Chebbel, «Manifeste pour un islam des lumières. 27 propositions pour réformer
l'islam» Éd. Hachette Littératures
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