Voici ce que m’écrivait un ami, qui a longtemps vécu au Québec et qui est retourné vivre en France.
Dans son éditorial fleuve daté du 4 novembre 2010, Eric Fottorino, directeur du journal Le Monde, effectue un retour – aux antipodes de la complaisance – sur le passé de cette véritable institution journalistique. Dans le contexte du rachat-refinancement de cette réputée icône médiatique – après une crise financière qui a sérieusement menacé sa survie –, il esquisse quelques lignes de force garantes d’un certain avenir du Monde.
Un passage de cet étonnant éditorial m’a particulièrement frappé. Il témoigne d’un niveau de candeur que seuls les plus forts et les plus nobles – ceux pour qui l’honnêteté intellectuelle prime en tant que valeur fondamentale – peuvent sans doute se permettre d’exprimer publiquement sans subir les hypocrites foudres courroucées des faux pontifes bien-pensants de sa confrérie.
Il mérite d’être mis en exergue pour le respect qu’il inspire et le vibrant message indirect de redressement de l’échine, oserais-je dire, qu’il diffuse à ses pairs – à titre individuel ou corporatif –, relativement à ce que pourrait s’avérer une authentique éthique des médias, à mille lieues du spectacle aux accents sanguinolents – pour ingestion expéditive – qui, de nos jours, tient trop souvent lieu de succédané à la véritable information requise par les Citoyens :
« […] Un journal qui s’était donné pour mission de faire trembler [les pouvoirs établis], qui a parfois abusivement entretenu la suspicion envers les pouvoirs politique et économique, ne pouvait qu’en payer le prix. Que de leçons données! Que de personnalités injustement malmenées, semoncées, voire jugées dans nos colonnes! L’erreur fut de prendre nos excès pour de l’indépendance, quand ils n’étaient qu’insignifiance. Le journalisme, celui que nos lecteurs attendent, est le fait d’expertise et d’ouverture d’esprit, d’analyses précises et de hauteur de vue, de nuance, de discernement. La révélation doit être vraie, la critique fondée.
Nous avons tiré leçon de ces égarements. Une réputation est difficile à construire, rapide à détruire. Notre journal doit être juste, au sens de la justesse. Il ne saurait s’ériger en justicier. Un journaliste n’est ni un magistrat ni un auxiliaire de police. Enquêter, oui. Enquêter à charge, accepter d’être l’instrument manipulé et manipulateur d’intérêts obscurs : jamais. “Dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité, dire bêtement la vérité bête, ennuyeusement la vérité ennuyeuse, tristement la vérité triste”. Cette formule de Charles Péguy, souvent citée par Beuve-Méry [Hubert, fondateur du Monde], ne fixe pas les règles d’un journalisme carnassier, pas davantage qu’un pouvoir ne doit s’ériger en hors-la-loi pour intimider un journaliste et empêcher la mise en lumière de faits probants et dérangeants. À chacun de trouver la bonne distance, de connaître les limites de l’exercice. […] »
Peut-on envisager un tel exercice d’autocritique publique de la part des journalistes québécois et dirigeants de médias, tous types confondus? Rêverie utopique, avouons-le, pour la si petite société journalistique montréalaise et québécoise – cela dit de façon générale, malgré les prestations d’ensemble de quelques très bons et notables éléments présents au plan individuel. Parce que trop obnubilée par un vedettariat disjoncté, fondamentalement inadapté au véritable rôle que devrait pourtant jouer pleinement le quatrième pouvoir, si épistémologiquement nécessaire à la Démocratie… la vraie.
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