lundi 5 décembre 2016

J'ai vu la Kahina au Théâtre La Chapelle à Montréal


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J'ai entendu ses premières paroles :
Et j'atterris dans ce monde viril gratifiée d'une fente entre mes jambes de poupée en chair. 
Photo Victor Diaz Lamich 
Je me calais dans mon siège comme autrefois en 1970. C'était la dernière fois qu'un spectacle m'avait autant bouleversée. J'avais entendu le Speak White de Michèle Lalonde et je commençais alors à ne plus me sentir seule.

J'intégrais alors la solitude des Québécois dans la marée nord-américaine en écoutant les paroles déclamées s'entremêler sur la scène, dans deux des trois langues que je parlais alors, l'une d'entre elles par nécessité, l'anglais, car nous n'étions pas acceptés dans les écoles françaises catholiques parce que juifs.

Ces mots matraques avaient trouvé un écho chez la jeune exilée que j'étais et cristallisé mon appartenance au nouveau monde en retrouvant une nouvelle terre, celle d'Euchariste Moisan et d'Alphonsine sur leurs Trente Arpents, que je venais de découvrir.

... Speakwhite
 Le soleil se couche chaque jour de nos vies à l'est de vos empires... ... parler un Allemand impeccable une étoile jaune entre les dents... ... Nous savons que la liberté est un mot noir Comme la misère est nègre Et comme le sang se mêle à la poussière des rues d'Alger et de Little Rock.
 Speak White 

Pendant la nuit de la poésie, j'avais vu les rues d'Alger, celles de Tunisie et celles si familière du Maroc.

Ce vendredi soir 2 décembre 2016, j'ai fait le chemin inverse. C'était la culture enfouie dans mes gènes qui refaisaient surface. Et Damia Tadmaït (son nom juif), appelée Dihya (son nom berbère) - la belle gazelle en tamazight, surnommée la Kahina (son nom arabe) - prendre une forme jusque-là jamais vraiment aussi claire. D'Alger en Tunisie, dans les rues où se sont mêlés son sang à la poussière.

Chaque fois que j'ai lu et relu le livre de Karim Akouche, j'ai pleuré. Je connais les mots et les phrases sans ponctuation de ce livre : Toute femme est une étoile qui pleure

Pourtant, j'ai revu défiler sur la scène du Théâtre La Chapelle à Montréal ma mère, morte il y a 15 ans. J'ai entendu ses cris étouffés résonner, ceux de ma sœur, de mon amie excisée, les miens pour avoir reculé devant le poids des traditions et ceux de tant de femmes rencontrées au hasard.
Et je heurtai de tout mon blasphème les pesantes traditions comme on heurte un rocher d'ardoise ou une montagne de bronze

Photos: Victor Diaz Lamich
J'ai vu la reine berbère, la Kahina, première féministe de l'Histoire, haranguer ses troupes pour résister à la conquête des Omeyyades. 

Je l'ai vue moderne. Habillée en jeans, sweatshirt et capuche enfoncée pour ne regarder que la terre et éviter le regard des hommes « virils de ses entrailles ».

Je l'ai vue poursuivre sa lutte sans fin contre les ostracismes, contre la haine, le pouvoir inutile, les mal-pensants et les autres.  

Et j'ai vu la tête de la Kahina rouler. Décapitée comme on décapite encore aujourd'hui ailleurs.

J'ai vu Marie-Anne Alepin, la divine vivante comédienne, se réapproprier sur scène ses racines syriennes. J'ai senti ses émotions grandir sous les mots revolvers, pendant que, par effet miroir, je me réappropriais mes propres racines, ma propre douleur de l'exil. La nuit de la poésie me rappelant à l'ordre d'une autre identité gagnée.

Puis leur ombre s'est confondue. J'ai vu la poétesse Mririda N'Aït Attik détourner sa vie par trop de médisance et la finir à Tassaout, en traçant et retraçant à l'infini des cercles autour d'elle en totale solitude.          

 Personne n'y était. Et pourtant on dit...
L'oreille est complaisante à la médisance
Maudits soient la langue et son venin ! 

J'ai vu les femmes de Tassaout se mêler à la Kahina.

J'ai vu les femmes autochtones du Québec perdre leur identité et leur dignité.

J'ai vu les femmes yézédies, kurdes, syriennes, saoudiennes, iraniennes, celles d'Afrique et d'Amérique du Nord... j'ai vu toutes les femmes guerrières.

Je connais le joug et l'injustice divine
Je connais la religion qui a fardé la nature
qui a enveloppé de la tête aux pieds les statues dans les jardins publiques 

J'ai aussi vu un homme, Raif Badawi, et tous les prisonniers d'opinion, poètes, journalistes, blogueurs, facebookeurs, twitteurs, séquestrés, hurler du fond de leur prison l'injustice du monde sans qu'aucun son ne sorte de leurs lèvres cousues et que leur plume leur a été arrachée.

C'était au 8e siècle après Jésus-Christ, c'était au 20e siècle et ça continue au 21e siècle.

Dieu perd la face quand il s'attaque à une femme.

On ne tue pas la femme libre...

Dieu perd la face quand il s'attaque aux hommes libres, aux femmes libres, aux enfants qui aspirent à la liberté des adultes.

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 De la très fine mise en scène de Francine Alepin, Toute femme est une étoile qui pleure du livre de Karim Akouche, Éditions Dialogue Nord-Sud, 2013. Au théâtre La Chapelle les 8 – 9 - 10décembre 2016.

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